Les peintres pompiers, l’art de la théâtralité

Prétention, emphase, style ampoulé et pompeux, les qualificatifs ont été longtemps et jusqu’il y a peu sévères envers ces peintres qui, de leur temps, bénéficiaient pourtant de la considération officielle. Au Salon de 1863, La Naissance de Vénus de Cabanel est achetée par Napoléon III ! Mais face à la modernité qui arrive, lourde de ses ruptures esthétiques et sociales, devant la montée des impressionnistes, eux-mêmes moqués à leurs débuts, les tenants de l’académisme héritiers de ce penchant marqué pour un « Moyen Age posthume » sont décriés, relégués dans l’oubli. Zola ne voit qu’hypocrisie dans ces tableaux. Dénonçant « le triomphe insolent du poncif habile », J.K. Huymans dans son ouvrage L’Art moderne n’a pas de mots assez durs voire méprisants pour certains de ces artistes exposant au Salon de 1879. Bouguereau, ce peintre qui « dans la hiérarchie du médiocre est maître » et qui « a inventé la peinture gazeuse, la pièce soufflée » est la première cible les flèches de l’écrivain. Or, ses toiles avaient été présentées dans la galerie des parents de Paul Durand-Ruel, preuve du soutien que les milieux éclairés de l’époque apportaient à ces artistes dits « pompiers ». Bien sûr, comme toujours, quelques noms semblent moins étincelants que d’autres. Mais Detaille, Bastien-Lepage, Delaroche, Comerre, Munier qui figurent au long de cette ample présentation, ont signé des œuvres élégantes et expressives qui ne sont pas moins intéressantes que celles des auteurs les plus en vue, comme Gérôme, Couture, Gleyre, Flandrin. Encore ignoré sinon méprisé, Carolus-Duran qui, il est vrai bien à tort « se prenait pour l’égal de Velázquez », rien que cela, a beaucoup vendu à la haute société parisienne.   

 

Les modes passent, d’autres les remplacent, les goûts évoluent, les regards aussi. L’art académique est réévalué selon de nouveaux critères. La critique lui concède volontiers du talent, une habileté technique sans égale, un savoir éprouvé pour la mise en place de décors somptueux et la gestion des couleurs, le sens du grand spectacle, la reconnaissance que les peintres pompiers ne sont pas que de vils copieurs de l’antique. Salvador Dali et André Breton seront parmi les défenseurs de cette manière qui couvre tant de genres, le portait, le paysage, l’histoire ancienne, la mythologie, la Bible, la vie militaire, la décoration publique, l’exotisme, l’allégorie. Il ne faut pas se tromper, « l’art pompier n’est ni une école ni un mouvement », précise l’auteur, « mais bien un adjectif attribué a posteriori à une certaine catégorie d’artistes ».

 

Dans son dernier ouvrage, imposant par l’abondance de ses illustrations, Guillaume Morel rappelle que cette peinture, qui reste un jalon inévitable de l’histoire de l’art, en particulier du XIXème siècle, repose d’abord sur ce qui attire souvent le plus, un « récit », quand celui-ci relate des faits et renvoie à des lieux proches ou lointains, saisit le pittoresque d’une situation, écoute des confidences, parle de la vie quotidienne, s’émeut devant la nudité. Car s’il y a des épées et des combats, il y également les feux de la passion et la douceur de la rêverie. Partout règne en reine la femme, ici habillée d’une toge, là à peine vêtue, en général nue, la peau de nacre, l’attitude sensuelle qui échauffait les pensées des collectionneurs d’hier. Ce réalisme poussé à l’extrême invite à proprement parler le spectateur à entrer dans le tableau, à partager les affres de La Mort de Ravana (huile sur toile de Fernand Cormon, 1875), à ressentir la tiédeur du Tepidarium (huile sur toile de Lawrence Alma-Tadema, 1881), à participer à Une séance du jury de peinture (huile sur toile d’Henri Gervex, 1885), à flâner dans le Marché en Basse-Egypte (huile sur toile de Léopold Carl Müller).

 

Guillaume Morel, à qui l’on doit déjà plusieurs titres dont le remarquable Paquebots, l’art du voyage à la française, publié par cette même maison d’éditions, estime que cette peinture « lisse » donne « l’illusion du réalisme » et « joue avec la vérité ». Certes, mais on ne peut dénier à ces peintres d’avoir composé, du grandiose à l’intime, de vrais spectacles, documentés, observés de près, vécus pour beaucoup, et qui dans leurs exagérations mêmes, offrent un moment de sincérité et de dépaysement. C’est sans doute pour sa théâtralité qu’elle séduit désormais.

 

Un des grands intérêts de cet ouvrage est qu’il déborde le cadre de l’art pompier français et fait découvrir de nombreux noms inconnus. On oublie qu’au même moment, ailleurs en Europe, des peintres traitaient des mêmes sujets, avec des approches similaires mais des sensibilités différentes, comme Ilia Repine, Giuseppe de Nittis, Albert Joseph Moore, Henryk Siemiradzki, Alfred Stevens, Rudolf Ernst, Hans Makart, Frederic Leighton et bien d’autres. D’où la traduction en cinq langues du texte, ce qui autorise une diffusion élargie aux amateurs de plusieurs pays. Les notices aident à comprendre les œuvres. Il est dommage qu’un tel livre n’ait pas été imprimé sur un papier de meilleure qualité, ce à quoi l’éditeur nous a régulièrement habitués. 

 

Dominique Vergnon

 

Guillaume Morel, L’Art pompier, les feux de l’académisme, éditions Place des Victoires, 280 pages, 350 illustrations, 29x27 cm, novembre, 2016, 29,95 euros.

 

 

 

 

 

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