Claude Monet, dès les origines

Les premières années de l’enfance, quand les yeux jour après jour s’ouvrent davantage aux réalités de la vie, sont, on le sait, décisives. Porté sur certains horizons, le regard semble engagé ensuite pour l’existence. Monet arrive au Havre quand il a cinq ans. Il voit d’abord cette mer « plus immense qu’ailleurs, enflée jusqu’à l’horizon, jusqu’au ciel, comme prête à se jeter sur la ville pour l’engloutir », selon les mots de Gustave Geoffroy, journaliste, écrivain, critique d’art et biographe de l’artiste. Parisien de toutes ses fibres, Monet restera cependant fidèle à la ville portuaire qui est le vrai lieu des origines de sa vocation artistique, attaché « à cette mer devant laquelle il avait grandi ». Même s’il se rend à Paris dès 1859, il reste en relations étroites pendant plus d’une vingtaine années avec Le Havre. C’est dans une petite localité située au nord-est de la ville qu’il exécute le premier tableau exposé en 1858, Vue prise à Rouelles, une toile qui contient ce qui séduira définitivement le peintre : le ciel, l’eau, leurs reflets réciproques, le vent dans les frondaisons, ces jeux de lumière qui passent, se fondent, se séparent et donnent à ses émois intérieurs des vibrations qui résonnent au rythme de celles de la nature. Les dessins au crayon qu’il réalise en 1856 - il a seize ans - montrent combien il sait déjà rendre avec justesse la densité des arbres, les pentes des collines, l’horizon au détour du chemin.

 

L’attention  formée en compagnie de Boudin, il explore les territoires alentour, notamment Sainte-Adresse où la famille possède une demeure. Datée de 1867, La Terrasse à Sainte-Adresse, est sans doute une de ces merveilleuses scènes de régates qui se déploient par une journée de beau temps, lorsque le soleil et le vent amplifiant les nuances de lumière, font frémir et onduler les vagues et les drapeaux. Les liens de Monet avec Le Havre ne se distendront donc jamais puisque il y revient souvent, y expose et y vend dans le cadre de l’Exposition maritime internationale. Il y est par exemple en 1874 (Le Grand Quai au Havre), en 1881 et en 1883, pour peindre des bateaux dans le port, avec une touche légère qui dilue sans les confondre les contrastes entre les voiles et les maisons en arrière de l’eau.

 

En 1862, Monet fait la connaissance du peintre Jongkind, né en 1819 aux Pays-Bas, un autre de ses maîtres. En dehors de ses amitiés et ses contacts avec de nombreux peintres, Bazille, Renoir, Courbet, Pissarro, il a aussi beaucoup d’admiration pour Daubigny, qu’il rencontre en 1866 près d’Honfleur. A son exemple, Monet adopte l’oblique pour donner à ses vues cette profondeur de l’espace, dilaté sous les effets de la clarté qui traverse les nuages, comme on le voit dans deux toiles de 1864, exécutées à la Pointe de la Hève. C’est encore Daubigny qui en 1870 présente Monet à celui qui deviendra son célèbre marchand, Paul Durand-Ruel. Peu à peu, Monet a découvert sa voie, sa facture est solide, libre, sa palette se saisit habilement des plans successifs, la critique salue sa « manière hardie de voir les choses ».

 

Le 13 novembre 1872, au petit matin, mais elle pourrait avoir été exécutée l’année suivante, il peint la toile révolutionnaire qui est appelée à marquer durablement l’histoire de la peinture et à être le socle du mouvement impressionniste. L’œuvre est si connue que l’on hésite encore à en parler, mais elle est si unique que l’on peut sans cesse la commenter sans l’épuiser. Jamais instant éphémère n’aura été aussi magistralement fixé, alors que l’astre rouge-orangé qui s’élève lentement envoie sur une vaste étendue d’eau un rayon allant d’une gamme de rouges à un rosé presque tremblant, qui se fragmente, s’unifie, se perd, s’impose, au milieu des fumées, des nuages, de l’onde, dans une apparente confusion qui est celle d’un contre-jour d’hiver accentué par les silhouettes sombres des embarcations au premier plan. Une étude particulièrement poussée par un astrophysicien américain explore les conditions de réalisation d’Impression, soleil levant, précisant le point où se trouvait Monet, l’hôtel de l’Amirauté, sur le Grand Quai, et la direction du soleil. « Le paysage n’est qu’une impression, et instantanée… J’avais envoyé une chose faite au Havre, de ma fenêtre, du soleil dans la buée et au premier plan quelques mâts de navires pointant… On me demande le titre pour le catalogue, ça ne pouvait pas passer pour une vue du Havre, je répondis: « Mettez Impression », relatait Maurice Guillemot, journaliste de la Revue illustrée, en reprenant ce qui lui avait dit l’auteur du tableau. Le mot a eu la fortune que l’on sait!

 

Aucun ouvrage aussi complet et solidement documenté n’avait été consacré à ce jour au rôle essentiel joué par Le Havre en tant que ville partenaire de la formation de Monet. Sans aucun doute son goût et son besoin de peindre sur le motif sont-ils nés ici. De même son rapport à la photographie a-t-il pris corps au contact des nombreux photographes comme Firmin Kaiser, Gustave Le Gray, Auguste Autin qui venaient sur la côte normande développer les procédés de la daguerréotypie. Presque vingt années fondatrices de l’œuvre de Monet sont étudiées dans ces pages, de ses premières caricatures à ses portraits comme celui de Madame Gaudibert et ses marines. Il trouva là ses soutiens et les collectionneurs qui allaient lancer sa carrière. Des cartes, des documents d’archives inédits, des lettres appuient les textes des spécialistes et des chercheurs dont les travaux se complètent et apportent de nouvelles données à la connaissance du grand artiste.   

 

Dominique Vergnon

 

Sous la direction de Géraldine Lefebvre, Monet au Havre ; les années décisives, Hazan, Collection Beaux-Arts,  288 pages 200 illustrations, 21x26 cm, octobre 2106, 45 euros.

 


 

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