Monet, l’art de ressentir la nature

A l’invitation du critique Gustave Geoffroy, Monet se rend à Fresselines, village situé au confluent de la Petite et de la Grande Creuse et y rencontre l’écrivain Maurice Rollinat. Il est conquis par la « sauvagerie terrible » de la région, ainsi qu’il l’écrit à Berthe Morisot. Au début de l’année 1889, Monet revient sur les lieux et séjourne pendant environ 3 mois dans une maison en face de l’église. Inspiré par cette contrée attachante et retirée, il exécute « avec cette conscience » qui selon Octave Mirbeau caractérise son travail, une vingtaine de toiles qui ont pour sujet principal les collines couvertes d’une âpre végétation parmi lesquelles serpente la rivière, comme le montre un des tableaux venus des Etats-Unis, le Ravin de la Petite Creuse. Tons bruns de la terre, violets de la lande, verts de l’eau empressée, la vallée se dévoile touche après touche dans son intégrité première, sa rudesse et sa fraîcheur. Avec trois autres toiles, La Meule au soleil, La Cathédrale de Rouen, portail, effet du matin et Pré à Giverny, cette toile est un des points d’accroche de l’exposition et illustre son propos associant lumière, ombre et réflexion. 

 

Pour célébrer ses vingt ans, sur la base de ces trois repères, la Fondation Beyeler choisit Monet, « l’une des pierres angulaires de notre fonds» précise son directeur Sam Keller. L’œuvre du peintre se relie avec ce qu’il célèbre le mieux et le plus, la nature. Une manière de marquer les liens d’affection et d’admiration que son fondateur, Ernst Beyeler, mort le 25 février 2010, aussi passionné d’art qu’amoureux de cette même nature, avait noués avec l’artiste. Une nature ressentie et offerte pour elle-même, dans la variation des saisons, la diversité des sites, le renouvellement des apparences.

 

Filtrées autant par l’écoulement du temps que sa suspension éphémère, les vues présentées deviennent des apparitions à la fois cadrées de près et diluées par la distance. Rouen, Londres, Etretat, Bordighera, la côte normande, la corniche de Monaco, chaque motif est l’occasion pour la palette d’en reconstruire les harmonies. Monet voit, discerne, observe, retient, conserve l’essentiel, élimine l’inutile. Il semble ne peindre que la lumière afin que soit révélé ce qui sans elle n’apparaitrait pas, le ciel, les oliviers, les falaises, les rochers, les glaçons qui dérive sur la Seine durant le terrible hiver de 1880.

 

« Plus je vais, plus j’ai de mal à rendre ce que je voudrais ». Sincérité de Monet, qui souvent tient pareil discours. Volonté de Monet de traduire au plus près ce qu’il voit. « Je poursuis un rêve. Je veux l’impossible ». Par chance, comme tant d’autres maîtres - on se souvient de Michel-Ange estimant à 80 ans passés qu’il devait retourner à l’école - Monet n’a pas fait que des chefs d’œuvre. Sans doute réussit-il mieux à saisir les effets subtils de la lumière normande à laquelle il est habitué depuis toujours que la luminosité méditerranéenne, le poussant à trop accentuer les contrastes. Mais ceux qui sont considérés comme tels, et ils sont nombreux, le sont deux fois. Au-delà des mots. Cette exposition en offre plusieurs, notamment ces deux Matinée sur la Seine, tableaux également prêtés par un musée américain, l’un et l’autre miroir de transparence absolue quand l’Epte se confond avec la Seine. Ce féérique diptyque où les nuances les plus infimes de la brume s’unissent à celles de l’eau, dans des dégradés de mauve, de gris, de rose, instaure un délicat dialogue d’éléments liquides et de vapeurs diaphanes. On a déjà annoncées les Nymphéas à venir, la prémonition de ces « diffusions de lumière » pour reprendre les mots de Clemenceau dans son livre paru en 1928, à la librairie Plon, intitulé justement « Les Nymphéas ». 

 

Autres toiles éminentes réunies cette fois dans la partie consacrée à Londres, ville que Monet visite à plusieurs reprises et dont l’atmosphère sans cesse sollicite et renouvelle le regard. « Sans le brouillard, Londres ne serait pas une belle ville. C’est le brouillard qui lui donne son ampleur magnifique ». De cette ambiance propre à la capitale anglaise, il se fait l’interprète, davantage même, le poète. Parti de quelques thèmes favoris, la Tamise, les ponts, le Parlement, Monet perçoit la réalité, en fait une abstraction, efface les perspectives habituelles qui à l’inverse sont les évidences d’autres tableaux, par exemple Marée basse devant Varengeville, venu de Madrid. Oubliées les structures de Waterloo Bridge, de Charing Cross, toute silhouette humaine qui signifierait la vie, Monet ne garde que l’impalpable densité du brouillard, « ce mystérieux manteau » ainsi qu’il l’appelle. Il ne peint les nappes de brume que pour en capturer l’essence et la déposer sur la toile. C’est en Angleterre, enrichie par son commerce et son industrie, qui a accueillie Zola condamné après son article « J’accuse », héritière de la tradition paysagiste, que Monet avait vu Turner et Whistler, artiste avec lequel il entretint des relations d’amitié et dont le style japonisant l’avait séduit.  

 

Cet ouvrage accompagne l’exposition réunissant 77 œuvres - dont 15 proviennent de collections privées et sont rarement montrées - accrochées dans l’édifice sobre et clair conçu par Renzo Piano en hommage à la double affection, déjà évoquée, du collectionneur suisse pour l’art et la nature. Par les grandes ouvertures vitrées, le regard embrasse un horizon de verdure, des arbres, un bassin où poussent des plantes aquatiques, des fleurs, les sculptures qui l’agrémentent. Monet, le « lyrique supérieur » disait Clemenceau, est ici chez lui.  

 

Dominique Vergnon

 

Ulf Küster, Maria Becker, Gottfried Boehm et al., Monet, éditions Fondation Beyeler, 180 pages, 130 illustrations, 27x31 cm, janvier 2107, 58 euros.

 

www.fondationbeyeler.ch; jusqu'au 28 mai 2017

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