Aventures picturales en Bretagne

Dans une lettre datée du 8 juillet 1886 et adressée à Félix Bracquemond, Gauguin écrit qu’il va « faire de l’art dans un trou ». Il parle de Pont-Aven. Il a pris le train jusqu’à Quimperlé, une jolie cité qui a séduit de nombreux peintres notamment Henri Le Sidaner, Maurice Denis et Frits Thaulow. A l’époque, cela représente quatorze heures de voyage depuis Paris. Il en faut à peine quatre maintenant. Depuis le passage des lointains pionniers appelés les « américains », Gauguin, qui loge à la Pension Gloanec, estime être le maître incontesté des artistes qui de plus en plus nombreux, viennent trouver dans le village et ses alentours ce qui à leurs yeux caractérisent la région, l’authenticité. Celle des paysages comme celle des gens. « J’aime la Bretagne, j’y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots retombent sur ce sol de granit, j’entends le son sourd, mat et puissant que je cherche en peinture ». Ces mots de Gauguin, beaucoup les font leur, entre autres Emile Bernard, Sérusier, Charles Laval. Selon son habitude, lassé et désireux d’autres sensations, Paul Gauguin s’installera en 1889 au Pouldu, à la Buvette de la plage où le rejoignent Meijer de Haan et Charles Filiger. 

 

De ce « trou », rien moins que la fameuse école de Pont-Aven va rayonner. Et être le creuset des courants picturaux majeurs du siècle, synthétisme, impressionnisme, symbolisme, les nabis, pointillisme, fauvisme, qui en s’annonçant, se recoupant, s’effaçant, ont irrigué les racines de l’art moderne. La nature indomptée de la côte ou apaisée de la campagne, les pêcheurs et leurs embarcations, le folklore qui rejoint un certain mysticisme, partout le motif retient l’attention des peintres. Dans une éblouissante union de nuages gris et blanc, Boudin en 1855 célèbre le port de Camaret. En 1886, année de la 8ème exposition impressionniste, Monet admire les rochers de Belle-Ile.  De son côté, Signac fait flotter les drapeaux pour Le Pardon des terre-neuvas à Saint-Malo tandis que Delaunay exprime dans des jeux subtils de formes et de couleurs les charmes de la vie bretonne (La Fête au pays, huile sur toile de 1905).

 

L’aimantation des talents neufs est en marche. La Bretagne, plus que toute autre région hormis le vaste arc de la côte méditerranéenne, devient le pôle d’attraction des artistes qui cherchent à traduire sur la toile les contrastes de lumière, les effets de vent et de pluie, la curiosité des coutumes locales, en somme un esprit propre au territoire qui fait de son espace un champ ouvert aux « aventures picturales ». Conquis et stimulés par l’identité de la Bretagne, dans le sillage des anciens, de nouveaux peintres arrivent en voisins ou en étrangers. Ils ne sont pas encore connus, ils ont des aptitudes diverses, tous ne se feront pas un nom, certains s’imposent comme d’excellents peintres, d’autres ont plus de mal à le faire. Ensemble ils offrent une vision humaine et poétique qui ne masquent les âpretés d’une terre restée intacte dans son essence et exigeante dans son approche.

 

Au long de ces pages comme du parcours, les 90 œuvres exposées rendent compte de cette évolution des regards. Qu’ils envahissent le littoral ou investissent l’intérieur, les peintres renouvellent les perceptions courantes pour offrir leurs propres visions. Les clartés sur Concarneau vues par Mathurin Janssaud, la récolte du goémon dans les pas de Lionel Floch, l’animation des quais saisie par Henri Royer, les horizons lointains aimés de Louis-Marie Désiré-Lucas, les voiles rouges étalées au gré de Charles Cottet, le quotidien des habitants partagé par Lucien Simon ou Albert Clouard, autant de sujets sur le vif évoquant sans la figer l’identité bretonne. 


Du japonisme de Jean-Francis Auburtin au cubisme de Georges Sabbagh, les influences se croisent et répondent à l’engouement des artistes qui se succèdent, assurant dans les divergences la transmission de l’héritage. Là où se tenaient l’Hôtel Julia et son annexe, un musée avait été inauguré en 1985, à l’étroit au fil des années. Dans le nouveau musée agrandi et modernisé, cette ample exposition en lien avec les collections permanentes déploie l’héritage et les mutations d’une province toujours ancrée dans sa culture.

 

Dominique Vergnon

 

Jacqueline Duroc, Estelle Guille des Buttes-Fresneau (avant-propos), Hervé Duval (préface), La modernité en Bretagne - 1, de Claude Monet à Lucien Simon, 1870-1920, éditions Silvana Editoriale - Musée de Pont-Aven, 167 pages, 97 illustrations, 21x29,5 cm, janvier 2017, 29 euros. 


www.museepontaven.fr ; jusqu'au 11 juin 2017 

 

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