Mémoires d’outre-mer

« Des documents précieux, épars ou mal reconnus, s’ils ne sont pas sauvés, risquent de perdre leur sens ou leur existence…Il est temps de faire l’inventaire de notre passé colonial ».  Ces mots sont tirés d’une circulaire du 2 mai 1935 et ont une grande portée. Pourquoi ? La suite de ce texte l’explique : « Nous le devons, pour nous rattacher à notre histoire, pour trouver dans le passé des exemples, les leçons et les titres de la colonisation, pour établir une vérité que nous n’avons pas à cacher ». Il s’agit de la vérité de l’histoire, et en l’occurrence de l’histoire de ce vaste territoire de l’au-delà des mers, de l’ultra mare, un mot ancien venu du latin qui remonte au Xème siècle. Le roi carolingien Louis IV était appelé Louis d’Outremer. Il désignait ce qui était hors Europe, de l’Amérique à l’Océanie, en croisant par les caps de l’Afrique et de l’Inde. En 1710, Richelieu avait créé un bureau des colonies. A la fin du XIXème siècle, il y eut un ministère des colonies. 


L’Ecole coloniale formant « les cadres du système colonial, administrateurs, magistrats, inspecteurs » ouvrait ses portes en 1889. La France au milieu du XXème siècle possédait un vaste empire, qui géographiquement et pour en donner une idée globale qu’il faudrait corriger selon les époques, s’étendait de la Guyane à la Terre Adélie, de Saint-Pierre et Miquelon à l’Annam, du Maroc à Madagascar, soit en 1936, plus de 110 631 000 habitants, métropole comprise, répartis sur 12 898 000 km2. Une histoire avant tout humaine où se rejoignent la société, la diplomatie, l’économie, la défense, les sciences, la justice et les destins glorieux ou oubliés de ceux qui ont « fait les colonies ». 

 

 

Les Archives nationales d’outre-mer (ANOM) conservent ainsi trois siècles d’histoire. La richesse des fonds est considérable. Elle est le reflet « d’une histoire mouvementée » et « des aléas de l’administration ». De plus, elle provient des quatre parties du monde, autant d’avantages que de problèmes. Les archivistes locaux se trouvaient devant de nombreux défis. On en a une petite idée en lisant le rapport d’un inspecteur, constatant non sans humour mais avec tristesse l’état des archives dans un poste en Afrique. « Archives ? Non, il n’y a rien, répond le commandant, sinon quelques dossiers d’affaires récentes…N’y a-t-il vraiment pas autre chose ? On déniche alors dans un coin d’une armoire deux ou trois registres datant des environs de 1900 et une dizaine de lettres autographes et croquis de la même époque ». Est-ce tout ? Où gisent donc les traces écrites de l’administration française depuis 60 ans et plus ? On découvre alors l’existence d’un local dépourvu d’intérêt, paraît-il, dont on a perdu la clé depuis des mois. Forçons la porte et entrons ou plutôt essayons de naviguer au milieu de cet océan d’archives. La tempête est passée par là ». Que voit-on ? Des étagères croulantes, des Journaux officiels en perdition,  un matériel hétéroclite, une poussière épaisse recouvrant « les itinéraires de la conquête », la correspondance des gouverneurs, les registres d’état civil. Un ensemble indescriptible, pourtant précieux ! Cette description illustre les difficultés, qu’elles soient d’ordre financier, technique ou climatique, rencontrées par les services pour assurer partout ce travail fondamental de la constitution des archives. Les contraintes sont multiples. Collecter, ordonner, enregistrer, conserver, protéger, rapatrier des milliers de documents sera une tache complexe, exigeante, une œuvre de savoir, de compétence et à l’évidence, de dévouement. Le résultat est à la hauteur des attentes. La réussite du site d’Aix-en-Provence en apporte la preuve.    

 

 

Ces archives dont est relatée dans la première partie de cet ouvrage l’histoire propre, racontent aussi l’extraordinaire aventure de notre passé d’outre-mer. Explorations, relations commerciales, enseignement, médecine, ethnologie, tous les domaines sont abordés à travers des pièces choisies pour leur qualité et leur originalité, telle celle présentant l’acte de décès de Paul Gauguin, aux Marquises, le 8 mai 1903. Ainsi peut-on lire la préface écrite par André Breton pour le catalogue de l’exposition de 1947 de l’artiste algérienne Baya (1931-1998) que Braque accueillit dans son atelier. Voir de superbes photos, (signalons les quelques 700 photos prises pendant le séjour de Gallieni à Madagascar) parvenues dans leur authenticité, de ces contrées lointaines comme ce marché à Dakar autour de 1889, la Porte du tata El Hadj à Ségou au Mali et les fouilles menées à Tipasa. Admirer l’étonnant plan de la ville des Cayes à Saint-Domingue et un dessin à l’aquarelle révélateur d’un soldat inconnu, Paul Clémençon, saisissant le terrible moment où les condamnés sont poussés dans les « bagnes », ces cages situées dans les cales des navires à destination de la Guyane. 


Lettres, dépêches, cartes, plans, affiches, récits, contes, tracts, croquis, ceux sont les réussites et les échecs de la colonisation qui sont consignées dans ces pages. Elles offrent de passionnantes découvertes au lecteur, y compris celle de lire avec surprise que l’auteur du célèbre tableau Le Radeau de La Méduse est Delacroix (page 121), quand personne n’ignore que son auteur est bien sûr Géricault, cette grande toile peinte à l’huile ayant été exposée au Salon de 1819 et accrochée depuis au Louvre. On ne saurait mieux dire que « La culture est l’âme d’un peuple. Les archives en sont la mémoire » (Me Alain Moreau).

 

 

Dominique Vergnon

 

Sous la direction de Benoît Van Reeth, Histoires d’outre-mer, les archives nationales d’outre-mer ont 50 ans, A.N.O.M - Somogy éditions d’Art, 360 pages, 300 illustrations, 24x32 cm, février 2017, 35 euros.   

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