Malte, les cultures en héritage

L’expression est banale, de tant de justesse : Malte est une  île au cœur de la Méditerranée et au carrefour des civilisations. Des mots exagérés ? D’autres îles peuvent se prévaloir aussi de ces titres. Tant mieux, le Mare Nostrum est sans conteste « le plus vigoureux espace d’interactions entre différentes sociétés à la surface de la terre », selon David Abulafia, professeur d’histoire méditerranéenne. Rien de plus justifié donc pour ce lieu qui signifiait refuge en phénicien,  devenu République et assurant actuellement la présidence du Conseil de l’Union européenne. Evidence des fusions en parcourant ces pages et en admirant les objets exposés. Comme autant de jalons de son histoire et de sa géographie. Des siècles de cultures s’accumulèrent sur ce bref territoire comme s’entassent des gisements de roches pendant des millénaires. Un socle de savoirs et d’événements dont la langue, aussi curieuse à entendre que difficile à lire, deviendrait comme la métaphore des influences reçues et des faits survenus au cours des âges.

 

 

Les petites figurines assises en argile témoignent d’un vécu néolithique mais leurs silhouettes pleines et presque abstraites, résolument expressives, parlent en faveur d’une modernité stylisée parente de ce que l’on fera des siècles plus tard, pratiquement de façon identique. Le lien entre toutes ces richesses est la conjonction de la terre et de la mer. Comme pour toute île, certes, mais sans doute avec des accents plus marqués ici. Trois continents se touchent en effet, au moyen des flots. L’amphore est le signe parfait de cette alliance, quand l’esthétique sert l’économie. Cet élégant récipient contenait par la grâce artisanale des potiers, les liquides les plus utiles alors, le vin et l’huile mais aussi le garum, une sauce fermentée à base de poissons. C’est également de cette alliance de la terre et de la mer qu’attestent le pittoresque compas italien en bois peint du XVIIème s. et ce vieux portulan en vélin où se lisent les repères essentiels du moment, la Crimée, le Danube, la Sicile, la côte de Lybie entourant l’archipel maltais.  

 

 

La langue manifeste le passage des Arabes, des Phéniciens, des Juifs, des Romains, pour simplifier. Les sources sont plus complexes, autant que l’histoire qui relie aux Grecs les Normands. Les Anglais dont la langue est également officielle, arrivent bien plus tard. Il y aura eu entretemps la domination angevine, les Aragonais et surtout le rayonnement de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Caravage, fuyant Rome après le meurtre qu’on lui attribue de Ranuccio Tomassoni, peint entre juillet 1607 et octobre 1608 plusieurs tableaux durant son séjour à Malte. Il exécute surtout  le somptueux et réaliste portrait du Fra Antonio Martelli. Le génie de l’artiste est total. Dans le jeu des ombres et des reflets de l’habit du moine-soldat, le pinceau fait des miracles de rendu sur l’étoffe noire et rehausse avec finesse les contrastes du blanc de la croix à quatre branches mais huit pointes.

 

 

Inattendu, luttant contre les flots, rescapé du naufrage du navire aperçu au loin, Saint-Paul apparaît sur une aquarelle et gouache sur papier de 1760. On le voit à travers une monstrance. Un épisode de la vie de l’apôtre des Gentils que rien ne confirme, mais le lieu que revendique à bon droit Malte en conserve le durable souvenir. Mariage encore de la terre et de la mer que cette gourde décorée de pèlerin des premiers âges, une poterie connu sous le nom de terra sigillata. Ce genre d’objet se fabriquait en Afrique. Un voyageur l’oublia-t-il à Malte ? L’archéologie s’affirme être autant une plongée dans l’art que dans l’inconnu révolu qui garde ses secrets. En dépit de sa cassure qui le prive de l’entière beauté de la pièce, le candelabrum séduit le regard par sa grâce comme il fascine les chercheurs.

 

 

Pas de frontières à tracer entre les éléments qui se partagent ce site. William Turner, bien que n’ayant pas voyagé jusqu’à La Valette, en fait une description idyllique. Son aquarelle est typique de son style, romantique et vériste à la fois, dressant sous un ciel agité les fortifications de la ville-capitale. Il s’inspira du travail d’un autre artiste, George Philip Reinagle. Mais son talent est suffisant pour prouver qu’il est devant le motif. Les noces des éléments naturels semblent accomplir une célébration continuelle le long des baies et des promontoires où sable et soleil colorent les horizons. L’Europe peut-on lire, à jeter l’ancre à Malte. Un emplacement aussi stratégique a attiré les envahisseurs et les bâtisseurs, les deux pouvant s’affronter, se succéder, voire se compléter. Une identité venue de la diversité, celle-ci ayant structuré et sauvegardé celle-là.

 

 

Dominique Vergnon

 

 

Sous la direction de Sandro Debono, Malta, land of sea, Midseabooks, 220 pages, 102 illustrations, 22x27 cm, janvier 2017, 39,95 euros. (catalogue publié en anglais ; un petit guide est disponible en français).

 

 

www.bozar.be; jusqu’au 28 mai 2017

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