Michel Nedjar, fabricant de « choses »

Depuis sa naissance, selon ses mots, il fabrique des choses. Chose, un terme vague et multiple qui pour Michel Nedjar renvoie d’abord à la matière textile prise et travaillée dans son état brut. Sources d’inspiration, les étoffes auxquelles il donne volumes et sens au long d’un lent processus impliquent une maturation appelée à déboucher sur quelque chose qui le dépasse dit-il, qu’il tente de capturer, au creux sombre de son atelier, « son œuvre fondamentale », son abri et son refuge où il recueille et conserve tout ce qui témoigne de son existence. A noter qu’au vu de la description de ce lieu qu’en donne l’artiste, le visiter doit être une curieuse expérience. L’auteure de ce livre qui coud ensemble les facettes d’un homme couturé par la vie, y a eu droit. En sachant que cette caverne renferme, comme celle de Platon, ses ombres et ses lumières.

 

 

Une grand-mère maternelle chiffonnière au marché aux puces de Saint-Ouen, un père tailleur,  de son héritage familial il a gardé le goût des tissus, des toiles, des lainages, la pratique du fil et de l’aiguille, le savoir d’un couturier. Il a inventé sa manière propre, le « coudrage ». Un terme qui serait à comprendre comme signifiant rage de coudre ? Deux faits contraires ont orienté sa vocation. Le premier : encore petit, il voit un livre d’histoire de l’art, prix de fin d’études remis à une de ses sœurs. Le second : ce père qui violente son enfance possède aussi une petite caméra. Sous cette double invitation à considérer autrement l’avenir, un chemin neuf s’ouvre à Michel Nedjar. Celui de concepteur d’une œuvre brute, dure, singulière, faite de films, de pastels, de peintures, de dessins. Il entreprend un parcours artistique aussi torturé que sinueux qui concilie ces legs, conduit à une création jamais considérée comme une fin en soi. Il aboutit surtout à la confection de poupées. Indirectement, servant à l’acte promoteur, il pratique la récolte de matériaux pouvant un jour ou l’autre trouver un usage, une issue, la possibilité d’un enveloppement.

 

 

Il a donc fabriqué des milliers de poupées. Non des poupées classiques, qu’une petite fille pourrait bercer, mais des « fabrications de formes » qui se situent entre des sculptures étrangères à toute plastique et des créatures étranges qui interpellent la raison. Il les nomme Chairdâmes. Pour rimer avec chaman ? Des poupées passées par un bain rituel. Sous ses doigts, ces objets de chiffons deviennent des sortes de sujets d’effroi. Rien d’identifiable, une disparition des repères, comme au moment de la mort, qui est pour lui une - très - fidèle compagne. A cet homme au croisement de plusieurs cultures et qui avoue son « mal être », le Centre Pompidou a accordé la confiance qu’il ne se reconnaissait pas en acceptant des œuvres sur papier. Pour ne pas être « ligoté » par le mot artiste, fermé et contraignant sa liberté, il se rangerait plutôt du côté des artisans qui façonnent l’improbable et lui insuffle leur vérité.

 

 

Il se forme en marge de l’académie et des musées d’art contemporain « car tout se ressemble », ce qui est vrai. Mais aussi sans éprouver d’intérêt pour Matisse et Picasso, ce qui est dommage. « Le lisse, le poli » dérange Michel Nedjar, qui a choisi pour symbole la toile d’araignée. Le réseau s’est étendu. Il a exposé en France mais aussi aux Pays-Bas, aux Etats-Unis, en Allemagne. L’association L’Aracine, qu’il a fondée en 1982 avec Madeleine Lommel et Claire Teller, a fait une importante donation d’œuvres d’art brut au LaM, le musée d’art moderne Lille Métropole. Ces entretiens s’emploient à déchiffrer un itinéraire expressif, transgressif, combatif. 

 

 

Dominique Vergnon  

 

 

Fançoise Monnin, Michel Nedjar, le chantier des consolations, La Bibliothèque des Arts, 160 pages dont 16 en couleurs, 14x22 cm, mars 2017, 19 euros.  

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