La Flandre sous le regard de ses peintres

 

 

A Gand, où est né Charles-Quint et la Lys et l’Escaut se joignent, les héritages sont multiples et denses, en histoire, en économie, en politique comme en art. Ils se croisent dans les certitudes ou les interrogations, observées au quotidien, des gens des villes et des campagnes, dont les peintres se sont emparés pour faire les sujets de leurs tableaux. Devenu un centre de culture et d’art, l’ancien couvent des Carmes, le Caermersklooster, sert de lieu emblématique à l’illustration et la compréhension de l’évolution sociale et esthétique de la région au cours de ce demi-siècle, deux dates cadrant le propos de l’ouvrage et de l’exposition montée sous sa voûte de bois.

 

 

 

Une à une, comme autant de salons, les salles racontent ce déploiement du regard pictural sur le passé flamand. Chaque peintre contribue à en élargir le champ tout en soulignant sa profondeur. En bons voisins, mais selon des points d’approche différents, Henry Van de Velde, Léon de Smet, Constant Permeke, James Ensor, Léon Spilliaert, Edgard Tytgat, Frits Van den Berghe guettent, constatent et interprètent des faits. Ils échangent et dialoguent autour de leur souche commune, ils composent et recréent des scènes qui ne peuvent appartenir qu’à ce sol qui les enracine. Leurs tableaux signent une identité assumée qui dépasse le simple folklore.

 

 

 

Dans ce quartier appelé Patershol, à côté des familles fortunées qui ont leur « gloriette », les ouvriers partagent des logis minuscules. Désireux de s’éloigner de la ville manufacturière qui se contamine, de nombreux artistes recherchent dans la paix silencieuse des environs une sorte d’âge d’or dont Emile Claus, parmi les gerbes et les arbres, célèbre la lumière. Le paysan qui travaille dans les champs, les pêcheurs qui luttent au large, la liesse des kermesses deviennent des vues poétiques et réalistes qui sont autant de moments entés sur les existences des populations.

 

 

 

Puisqu’on parle ici d’héritage, Breughel d’abord s’impose. Il inspire à Gustave Van de Woestyne une sorte de parabole critique dont il inverse la portée. Le mauvais semeur montre un homme ridé et obstiné qui avance avec ses lourds sabots sur un fond doré à la mode byzantine. Même référence chez Valerius De Saedeleer, qui coiffe d’une neige épaisse ses maisons blotties dans un vaste paysage vallonné. Cet artiste a pour compagnon d’études et ami le sculpteur George Minne, qui exprime dans ces corps agenouillés et ces visages cachant leur émotion intérieure un repli de toute joie vitale. Les symboles qui marquent d’une empreinte puissante l’art belge en général, prennent dans les générations d’artistes formées à Laethem-Saint-Martin une dimension nouvelle, puisant ses origines à la fois au ciel et sur la terre. Les mots de rêverie, de nostalgie, de beauté qui servent à des écrivains comme Verhaeren, Rodenbach, Maeterlinck pour décrire leur « douce terre, bénie entre toutes » selon Petrus Pictor, un chanoine barde qui notait cela en 1110, renvoient aux tons et aux contours des motifs centrés autour des mêmes mots. Le lyrisme des uns et des autres évoque un idéal où se rencontrent amour et solitude, plaisir et dérision, adoptant une plastique décorative proche de Puvis de Chavannes et des Préraphaélites.

 

 

 

Avec la Grande Guerre vient le temps des mutations. Le travail des pinceaux perd en enthousiasme ce qu’il gagne en vérité. La palette se veut plus rêche, le discours plus objectif voire plus primitif, l’esprit plus critique. L’allégorie rurale cède devant la mystique urbaine. Ce qui défile, ce sont les fermes, les estaminets, les manèges, les femmes, les jours tristes alternant avec les jours de paix. Le long d’obliques infinies, Spilliaert promène ses errances nocturnes (Maison sur la digue, 1907) tandis qu’Ensor concède à ses masques et ses rictus un éventail de de vives couleurs (Squelettes travestis, 1894). Hubert Malfait qui campe de solides paysans (Le Marchand de bétail, 1926) voisine avec Permeke qui, sous une matière épaisse et sombre, rappelle les luttes et les espoirs de beaucoup de petites gens (Le Pain noir, 1923).

 

 

 

Pointillisme, japonisme, cubisme, fauvisme, expressionnisme, impressionnisme, naïveté, abstraction, cette gamme des éloquences aux manifestations et aux tonalités diverses traduit au plus près l’essence de la Flandre. Il semble qu’à travers l’observation stricte, l’invention folle, la rigueur des constructions ou la fantaisie des perspectives, ce soit toujours le legs des anciens revu et corrigé suivant les canons de la modernité qui soit au cœur des tableaux exposés. Comme si l’imagination la plus inattendue n’oubliait pas la vérité première et se souvenait immanquablement de Breughel, qui estimait qu’il faut  peindre naar het lieven, d’après la vie, c’est-à-dire au plus près de la nature. 

 

Dominique Vergnon

Sous la direction de Katharina Van Cautere, Origines, l’art en Flandre de 1880 à 1930, éditions Lannoo, 288 pages, 156 illustrations, 30x26 cm, mars 2017, 45 euros (version en anglais disponible prochainement).

www.caermersklooster.be; jusqu’au 6 août 2017

  

 

  

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