Les miniatures de Karpff, savoir-faire et poésie

Sur un certificat daté du 20 janvier 1793, David, alors peintre et député à la Convention nationale, certifie que « Jean-Jacques Casimir Karpff est son élève en peinture ». Quelques semaines plus tard, sur une autre lettre, on peut lire que David estime que ce jeune artiste fera « un jour honneur à la patrie ». Mais pourquoi ce prénom de Casimir que Karpff ne porte pas en réalité ? Parce que pour le maître et les élèves, ce nom de famille est difficile à prononcer. Ils lui donnent ce petit nom d’emprunt sous lequel Jean-Jacques Karpff va désormais signer une œuvre considérable, longtemps méconnue et qui apparaît aujourd’hui dans son ampleur et sa qualité. Une injustice réparée, d’autant plus que sa production est originale et que son existence se relie à trois périodes majeures de l’histoire, la Révolution d’abord, puis l’Empire et enfin la Restauration. A une époque où l’art du portrait dont il est un représentant accompli détient au plan social un rôle plus que simplement décoratif en unissant à la démonstration esthétique la révélation psychologique. Cette conjonction des époques devient manifeste dans son style qui se rattache à la fois au classicisme et au romantisme.  

 

S’inspirant de l’antique, de la mythologie, des grands textes de la littérature et de la poésie,  Karpff se révèle tout au long de sa carrière comme un portraitiste qui apporte à son travail application et sens de la vérité, témoignant de son aptitude à observer. Dans une notice parue en 1856, Henri Lebert écrit que « ses portraits à l’estompe, achevés au crayon noir, sont souvent poussés à une perfection qui rappelle la peinture flamande et qui semble aujourd’hui avoir devancé les merveilleux résultats de la photographie ». La critique se plaît à souligner la véracité des traits et le rendu des caractères. Au sujet de son propre autoportrait sous lequel il mentionne « Casimir de Colmar », si Henri Lebert note que « ce portrait très ressemblant, montre une physionomie calme, fine et attentive », il remarque cependant que la mobilité du visage et la sensibilité du cœur sont moins présentes. Car apparait en effet et s’interpose cette distance qui reste insurmontable entre « la réalité intime du modèle et son effigie ». Un écueil que nombre de portraitistes ont rencontré. Mais ces passages de l’estompe appartiennent à une main virtuose. Cette façon singulière avec laquelle Karpff restitue les expressions s’accroît encore du soin avec lequel il compose le décor immédiat de ses portraits, les mettant en quelque sorte en situation grâce à des détails qui situent les personnages, comme on le voit dans les portraits de l’avocat Jean-Jacques de Reiset, de Madame Marie-Ursule Bartholdi ou encore de Fanny de Berckheim, assise à son pianoforte, feuille exécutée au crayon noir, rehauts de gouache blanche. Les modèles se trouvent de ce fait parfaitement individualisés par des attributs, des parures et des accessoires.  

 

Incontestablement, c’est dans la miniature, un genre alors très répandu chez les artistes mais qui n’apportait pas à tous la fortune, que Karpff atteint ce sublime qu’il conseille à son ami Lebert et qui est devenu comme sa « devise ». Ce double désir de finition dans la forme et de précision dans l’exécution est une constante qui traverse les miniatures de Karpff. Quand on pense à l’incroyable dextérité sollicitée et à la subtilité requise, d’autant plus grandes lorsque le portrait est exécuté sur ivoire, en grisaille, sans que la moindre nuance ne soit oubliée et élaborée à l’échelle de l’infiniment petit, on imagine les exigences nécessitées par chaque pièce. Le raffinement relègue ce qui serait préciosité. La miniature, « l’art de l’absence », renvoie à l’être aimé, éloigné, disparu. Certains médaillons portaient au revers une mèche de cheveux. Résultant d’une recherche poussée « afin de constituer le corpus de l’artiste pour montrer son œuvre dans toute sa diversité », l’exposition du musée de Colmar, qui rappelons-le, possède un chef d’œuvre parmi les plus prestigieux, le Retable d’Issenheim, polyptyque monumental peint par Grünewald et sculpté par Nicolas de Haguenau entre 1512 et 1516, réunit environ 220 œuvres, dont l’auteur, vivant entre l’Alsace, Versailles et Paris, était de surcroît professeur et défenseur du patrimoine.

 

Dominique Vergnon

 

Sous la direction de Viktoria von der Brüggen et Raphaël Mariani, Jean-Jacques Karpff (1770-1829) « visez au sublime », Hazan-Musée Unterlinden, 264 pages, 185 illustrations, 23x28 cm, avril 2017, 35 euros.

 

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