Cézanne, le peintre à travers ses portraits

Thème qui vient d’abord à l’esprit, quand son nom est cité, la Sainte-Victoire. Cézanne n’a cessé d’y revenir, de le parfaire. Thème majeur qui occulte parfois les autres. Pourtant, considérée dans son ensemble, on est surpris par l’ampleur et la diversité de l’œuvre de Cézanne, que ce soit pour les sujets ou les techniques. L’aquarelle par exemple a été un grand recours pour lui, vers la fin de sa vie. Sans parler de ses dessins, qui, dans l’économie de moyens, la légèreté des ombres et la liberté du trait, ne perdent rien de leur pouvoir attractif et de leur cohésion.

Cézanne en tant que portraitiste n’a pas été immédiatement connu et reconnu. Ce thème fait l’objet d’une exposition magnifique et sans précédent au musée d’Orsay. « On sait par d’irrécusables témoignages qu’il exigeait de ses modèles une patience et une endurance presque inhumaines. Seule Hortense était assez docile pour supporter la tyrannie du peintre. Dans sa terreur de voir bouger ceux dont il avait entrepris le portrait et, partant, de voir disparaître l’accent d’une forme ou la note colorée qu’il voulait saisir, il leur imposait des poses interminables». Ambroise Vollard parlera de ces longs moments de fixité à supporter. C’est d’ailleurs lors d’une de ces rencontres que le maître d’Aix, annonçant qu’il reprendrait le travail à son retour de Paris, dit au marchand : « J’aurai fait d’ici là quelque progrès. Comprenez un peu, Monsieur Vollard, le contour me fuit ». Unifié dans les volumes, sobre dans les tons, ce portrait, précédé d’un dessin d’une belle acuité et d’une facture délicate, impose une personnalité entière à travers une présence exposée de façon absolument remarquable. Sa construction géométrique se retrouve mais avec des approches différentes et des nuances marquées sur d’autres portraits d’hommes, comme celui d’Alfred Hauge, peintre norvégien, daté de la même année, soit 1899, sans un fond aussi évocateur que celui du tableau précédent, moins lumineux et peut-être moins puissant mais pour autant révélateur du caractère plutôt placide et astucieux du jeune-homme.

A l’instar des autres sujets qu’il traite, Cézanne sans cesse perfectionne sa manière, use de plus de modulations, de davantage de souplesse, d’une touche moins épaisse, en virgule. La comparaison du portrait de l’oncle Dominique, de 1866/1867 avec celui de Gustave Geoffroy, par exemple, exécuté une trentaine d’années plus tard, met bien en évidence cette formidable évolution dont on mesure le cheminement constant qui s’accroît encore jusqu’à la fin, comme on le constate dès lors que l’on met également à côté le fameux portrait de profil du Jardinier Vallier, de 1906, année où Cézanne décède. Le visage apparaît dans une lumière douce, le modelé est fluide, les coups de pinceau se répètent mais donnent consistance et clarté à la figure et au vêtement.

Nous avons pour comprendre ou essayer de mieux saisir le caractère du peintre, ses autoportraits, qui jalonnent sa carrière. Celui de l’artiste au chapeau melon, dont les deux versions sont présentées en regard l’une de l’autre dans cet ouvrage, est célèbre. Autant sans doute voire plus que cet Autoportrait à la palette, de 1886/1887, montrant Cézanne « avec les outils de sa profession », image forte s’il en est, qui « comme taillée dans la pierre ou le bois, échappe à la sévérité ou à la brutalité grâce aux délicats coloris du fonds ». Un portrait qui ne manque pas de souligner l’aspect « tourmenté » de l’artiste. Moins connus que ceux des paysans, les plus magistraux peut-être de tous ceux qu’il a réalisés, parmi tant de portraits éloquents qui tous apportent au style cézanien un éclairage et une densité permettant de suivre de près son parcours créatif, les nombreux portraits d’Hortense restent toujours à découvrir et séduisent en raison de leur variété. Hortense Fiquet se maria en 1886 avec le peintre. Que ce soit en robe rayée, cousant, au jardin, assise dans un fauteuil jaune, en robe rouge ou encore coiffée d’un chapeau vert, elle a été peinte pas moins de vingt-sept fois, autant ou presque que le nombre des autoportraits. Si les liens entre modèle et auteur du tableau sont manifestes, ils sont cependant exprimés avec une certaine discrétion au début puis s’imprègnent peu à peu des tensions survenues au sein de la famille.

Au total, le peintre aura réalisé environ deux cents portraits. Il avait sa « routine », rappelle le conservateur en chef honoraire au MoMA. L’intérêt de ce livre et le plaisir que l’on a à le lire, proviennent de ce que, pour la première fois, le sujet est ainsi exclusivement abordé et analysé au long de cette galerie de tableaux, présentée et commentée par des spécialistes. Elle offre aussi bien le visage d’Antony Valabrègue, poète et critique d’art, que celui du fils de l’artiste, Paul, né en 1872, ou celui de Joachim Gasquet, né à Aix et critique provençal. Derrière ces visages, ce sont des êtres qui se dévoilent, des méthodes qui se repèrent, une humanité qui se discerne. C’est un Cézanne « irritable, méfiant, moqué et maltraité », selon les mots de Rilke, qui peint sous nos yeux mais un Cézanne possesseur d’un talent unique, supérieur, inégalé. Un Cézanne qui aimait « réaliser » et qui disait : « On n’est ni trop scrupuleux, ni trop sincère, ni trop soumis à la nature; mais on est plus ou moins maître de son modèle, et surtout de ses moyens d’expression ». (Lettre à Emile Bernard, 1904).

Dominique Vergnon

Sous la direction de John Elderfield, Mary G. Morton, Xavier Rey et al., Cézanne portraits,  Gallimard/Musée d’Orsay, 256 pages, 168 ill., 21 x 28 cm, cartonné, mai 2017, 39 euros.  

www.musee-orsay.fr; jusqu’au 24 septembre 2017  

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