Manguin, le bonheur au présent

Pour Guillaume Apollinaire, qui l’écrit dans L’Intransigeant du 14 juin 1910, Henri Manguin, « est un peintre voluptueux, d’une sensualité un peu nonchalante….Ses paysages émerveillés disent la jeune gloire des sites, en juin, après le lever du soleil ». Plus tard, un autre critique, Pierre Cabane (1921-2007) note à son tour que « dans chaque tableau de Manguin, il est midi, la lumière chante, glisse sur l’eau calme, la chair épanouie, les fleurs ouvertes ou les fruits mûrs, c’est l’heure exacte du bonheur présent ».

Tous ces mots signent déjà un tableau en soi, chacun y ajoute une note de lumière, une impression de douceur, un sentiment de chaleur, autant de constantes qui marque la manière de cet artiste finalement assez peu connu. Dunoyer de Segonzac estimait que ce « beau peintre, passionné de son art, était sans parti pris » et « ignorait le sectarisme esthétique ». Manguin (1874-1949) aura en définitive consacré toute son œuvre « à magnifier le simple chant de la vie ».  

Quelques tableaux, prenons par exemple un ou deux paysages du côté de Cavalière, comme cette pinède exécutée en 1906, ou encore cet amandier en fleurs de 1907 que son ami Bonnard reprendra plus de vingt après, un ou deux nus, ceux de Jeanne, son épouse, qui est son modèle et sa muse, une nature morte encore, comme cette table où les fruits se mêlent à une superbe branche de houx, suffiraient à convaincre le regard de celui qui ne connaît pas l’œuvre de ce peintre, de son côté « franc et solaire ». Voir l’œuvre de Manguin, c’est d’abord admirer les jeux de couleurs vives, les effets chromatiques, des contrastes forts souvent trop appuyés, une palette qui célèbre cet hédonisme devant la vie évoqué par Marina Ferretti Bocquillon, qui assure la direction de cet ouvrage et est également la commissaire générale de l’exposition qui se déroule au Musée des impressionnismes Giverny.

C’est en somme le plein soleil méditerranéen que Manguin découvre à Saint-Tropez en 1904, séjournant près de la demeure de Signac, et qui imprègnera désormais sa manière, indépendante, intense, spontanée, énergique, qui relie à la fois le fauvisme au post-impressionnisme, les influences de Cézanne et sa rigueur logique à un certain classicisme, héritage de ses débuts chez Gustave Moreau. Dans l’atelier de ce dernier, Manguin croise Matisse, Camoin, Rouault, Marquet, Valtat, cette génération qui à son tour révolutionne les approches esthétiques du réel. Lors du Salon d’automne de 1905, dans la fameuse salle VII, Manguin présente cinq huiles sur toile. La formule de Louis Vauxcelles, qui compare Albert Marque et ses sculptures exposées au milieu des tableaux éclatants de tons vifs, purs, exacerbant les formes, à « Donatello parmi les fauves » est restée à jamais dans les mémoires. Le fauvisme, mouvement décisif autant que bref, était né.

Après des débuts qui lui apportent vite la renommée grâce aux achats notamment d’Ambroise Vollard, dès 1906, alors un des marchands les plus importants de Paris, et à l’intérêt que lui portent de nombreux collectionneurs, Manguin tombe dans un oubli relatif, sans pour cela perdre toute notoriété, restant fidèle en quelque sorte à ses goûts initiaux, évitant « de se laisser troubler par les théories » nouvelles qui désormais font florès, en particulier cubistes. Loin des courants qui vont bouleverser les codes, il continue à préférer « l’enchantement des rives méditerranéennes à la vie de Paris ».

Manguin trouvait ses sujets au plus près de lui, c’est-à-dire sa famille, sujet premier de ce temps des « Arcadies », de 1906 à 1914. Outre Jeanne, son épouse qui apparaît sous des jours régulièrement différents, habilement renouvelés, tantôt à la plage, tantôt cousant, ici vêtue d’une ample robe rouge, là nue allongée sur le divan, ou encore observée lors de moments d’intimité maternelle, il peignait ses enfants. Claude, assis sur un mur, petit garçon en culotte courte qui détache sa silhouette blanche et jaune sur un fond végétal d’un vert soutenu, jouant du flûtiau, est au centre d’un de ces charmants tableaux qui témoignent des liens d’affection qui règnent dans la famille. Les Osselets, peint à Cassis autour de 1912, réunit les trois enfants autour de leur mère. Comme l’a écrit Charles Terrasse dans son Eloge à Henri Manguin : « Les tons, jusqu’alors juxtaposés, se relient les uns aux autres. La mosaïque se transforme en tissu. L’harmonie colorée s’enrichit de verts, de bruns, de noirs et surtout de violets. Le violet : Manguin lui fait jouer un rôle souvent majeur. Il en utilise et varie toutes les nuances ».

A côté de la peinture généreuse, heureuse, audacieuse, la redécouverte de Manguin passe aussi par les œuvres sur papier. L’art graphique est la preuve de sa grande maîtrise des techniques, mine de plomb, fusain, pastel, plume et encre de Chine, ou encore ces délicates aquarelles, qui semblent vite exécutées et en fait sont l’aboutissement d’une riche expérience. Mais le plus surprenant et ce qui ajoute à la surprise, c’est de voir aussi « que l’artiste renonce délibérément aux séductions d’une maitrise depuis longtemps acquise » pour laisser place « à l’inachevé ainsi qu’à l’affirmation d’un trait irrégulier, parfois brutal ». Une économie de moyens qui devient aussi expressive que la toute puissante peinture. 

Dominique Vergnon

Collectif, sous la direction de Marina Ferretti Bocquillon, Manguin, la volupté de la couleur, Gallimard-Musée des impressionnismes Giverny, 23x28,5 cm 160 illustrations, 161 pages, juillet 2017, 29 euros.

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