L’Indien d’Amérique, du sauvage cruel au noble modèle

Quand Christophe Colomb quitte Palos de la Frontera, que José-Maria de Heredia appelle Palos de Moguer dans son célèbre poème « Les Conquérants », confusion fréquente entre les deux villages d’alors, séparés d’une dizaine de kilomètres, il pense qu’il atteindra l’Asie. Erreur incroyable et inespérée qui dans l’histoire des peuples et la géographie des nations a eu les immenses conséquences que l’on sait. Le navigateur va décrire un Nouveau Monde « à la fois innocent et barbare, primitif et imprévisible ». Le « sauvage », qui pendant plus d’un demi-siècle ne fut pas représenté avec exactitude par les voyageurs et donc était imaginé voire caricaturé par les européens, ne resta longtemps connu qu’à travers des récits, des idées et des symboles qui en faussèrent, presque durablement pourrait-on dire, l’image réelle. Jusqu’à l’idéalisation récente qui en altère également la réalité. Dans ce lointain idyllique, suivant l’angle de perception des dominateurs, on le voit notamment cannibale, naïf et cruel (on pense au rituel du scalp largement exploité) mais vivant en harmonie avec la nature. Autant de modes de vie qui seront condamnés, nourrissant les préjugés et reléguant l’indien à un rang inférieur. Le haut degré de civilisation des Aztèques et des Incas, établissant leurs royaumes au sud par exemple, demeurera avant une prise en compte objective, sous silence.

C’est la figure et la place dans les arts de ce « sauvage », qui ne deviendra bon que plus tard avec Rousseau, devenu archétype esthétique dans l’imaginaire occidental, que l’on veut d’abord retenir ici. Au départ, les sources étant peu nombreuses, les représentations vers la fin du XVIème siècle parent déjà de plumes l’habitant de ces contrées inconnues dont on souligne « le visage terrible ».

En 1735 est joué pour la première fois l’opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau Les Indes galantes, témoignant de « l’engouement » de la cour et au-delà de la société toute entière pour cet exotisme qui mêle d’ailleurs confusément les Indes, puisque « les protagonistes sont successivement turcs, perses, péruviens et nord-américains ». Jean-Baptiste Martin composera, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, à la gouache et l’encre brune pour Huascar, prêtre Inca, un flamboyant costume associant plumes multicolores et panaches blancs.

Eugène Delacroix, sur son tableau exécuté en 1825 intitulé Les Natchez, puisant dans le texte de Chateaubriand, rend compte de l’errance et du destin tragique du jeune couple et de son enfant juste né sur les bords du Mississippi, métaphore en quelque sorte qui renvoie aux massacres des indigènes d’Amérique. Avec la période romantique débute le regard magnifié que l’on porte sur l’Amérindien. Le « Peau-Rouge », maître de son domaine et qui le défend contre le colonisateur blanc, entre réellement en scène au XIXème. Entre autres moyens pour asseoir sa supériorité relative, il attaque les convois dans ce vaste et mythique territoire qu’est l’ouest américain, ainsi que le montre un petit tableau d’un certain F. ? Cante, L’Attaque de la diligence. Le combat était cependant inégal, l’arc et la flèche s’opposant à la puissance des armes à feu même si les Indiens eurent aussi des fusils (J.B. Paw, Guerrier Peau-Rouge à la carabine).

Parmi les diverses formes prises par cet imaginaire du Far West, qu’il soit littéraire - citons ici le célèbre écrivain James Fenimore Cooper - folklorique, cinématographique, décoratif et publicitaire, le western constitue toujours une des illustrations les plus fameuses de ces deux identités qui se rencontraient et se découvraient. Bons et mauvais, les noms des acteurs de cette histoire sont dans toutes les mémoires, que ce soit celui de Cochise, Geronimo, Butch Cassidy ou de Buffalo Bill dont Rosa Bonheur fit en 1889 un portrait réaliste, campant le capitaine William F. Cody sur son cheval blanc. Invité par l’artiste dans son château de By, ce dernier lui aurait offert une panoplie de sioux ! Si la tournée en France du Wild West Show de Buffalo Bill, en 1905-1906, participait à cette utile connaissance mutuelle, les stéréotypes circulaient encore, comme le prouve une des photos publiées dans le journal Les Sports. Quelques indiens, portant leurs hautes coiffes, étaient réunis dans une voiture. La légende disait : « En automobile dans le Far West ; une nouvelle manière d’entrer dans le sentier de la guerre ». Illustré par de nombreux documents certains rarement montrés, cet ouvrage passionnant et dense accompagne l’exposition qui se tient au musée du Nouveau-Monde et au musée des Beaux-Arts de La Rochelle.    

Dominique Vergnon

Sous la direction d’Annick Notter, Le scalp et le calumet, imaginer et représenter l’Indien en Occident du XVIème siècle à nos jours, Somogy éditions d’art, 24x32 cm, 256 pages, 300 illustrations, juin 2017, 35 euros.

http://www.ville-larochelle.fr/musee-du-nouveau-monde; jusqu'au 23 octobre 2017.

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