Missionnaires, explorateurs et collectionneurs

Dans le liminaire rédigé en 1906 par Mgr. Alexandre Le Roy pour le premier numéro d’Anthropos, revue internationale d’ethnologie et de linguistique, le cadre général est posé. Le texte est à la fois précis, concis, aimable mais directif. De la propagation de l’Evangile au sacrifice éventuel de sa vie, les devoirs et les risques du missionnaire sont clairement exposés. C’est une feuille de route aussi exaltante qu’exigeante, un parcours qui implique autant de renoncements que d’enthousiasme. Un des points majeurs sur lequel insiste le prélat est la considération des populations que le jeune missionnaire est appelé à découvrir, le respect de croyances différentes, la compréhension de mœurs pouvant être jugées étranges, la bonne connaissance des usages ancestraux afin qu’il vive le plus possible en alliance avec elles. Pas de mission sans union ! Pour cela, le missionnaire se doit de devenir autant qu’il le pourra un ethnographe. Il apprendra la langue afin de pouvoir s’exprimer au plus juste, comprendre, écouter, transmettre, partager la vie des indigènes, base de son apostolat. « Le missionnaire est donc tenu de par sa vocation même, de connaître la géographie physique du pays qu’il évangélise, de savoir quels sont ses voies navigables, ses routes, ses chemins, ses moyens de communication, ses obstacles, ses forêts, ses déserts, ses montagnes… ». La lettre du prélat mentionne encore toute une série de notions à avoir en tête, comme la densité des populations, les rapports entre tribus, l’adoption des coutumes locales, etc. Le but final est évident : être accepté par ceux qui seraient dits sauvages alors, ajoute Alexandre Le Roy, que « les sauvages ne se rencontrent que dans nos sociétés civilisées », signant là pour l’époque un incroyable message, preuve d’une large ouverture d’esprit. Les résultats de ces missions, qui ont été sans aucun doute inégaux selon les époques et les régions, seront cependant éloquents. L’Afrique à partir de 1840, a constitué pour les Spiritains, un vaste territoire pour leur action.

Au fil des chapitres, on évalue mieux comment, sur le terrain, les religieux munis de ces recommandations ont procédé pour gagner peu à peu la confiance, voire l’amitié des natifs et des natives. La proximité était bâtie grâce à une manière de fraternité de bon aloi, comme le rappellent les nombreuses photos qui illustrent ces pages. L’une de 1930 environ, montre le père François-Marie Pichon, barbu à souhait, vêtu de sa soutane, casque colonial au-dessus des lunettes rondes, emportant derrière lui un jeune garçon noir, étonné d’être sur une moto devant ses camarades eux-aussi surpris par cet attelage inhabituel dans la brousse. Une autre de 1920, saisit le frère Engelmar Z’graggen, maître dans sa forge, battant sur l’enclume une pièce de métal ayant à ses côtés son aide Gabriel, autre jeune homme au visage rond sous son béret. Une troisième capte le père Camille Laagel assis aux côtés d’un féticheur hautement emplumé. Les cultures traditionnelles offraient aux missionnaires un immense champ d’une richesse insoupçonnée, où, selon les constats établis et concordants, le monothéisme faisait bon ménage avec les superstitions et le culte des morts apparaissait en fait pas si éloigné de celui pratiqué en Europe. En sens inverse, des expositions itinérantes servaient en France la propagande missionnaire.

Les objets présentés dans cet ouvrage témoignent de cette recherche de connaissance, du désir d’intégration, de volonté de savoir. Au départ, « instruments de recrutement », depuis ils « nourrissent un dialogue dans lequel chacun peut dire et interroger son propre rapport au monde». On admire la perfection des volumes et des motifs de décoration, que ce soit sur les masques du peuple Fang au Gabon, les statuettes à pouvoirs du peuple Téké au Congo, une surprenante figure de reliquaire en bois, cuivre, laiton et fer du peuple Ndassa au Gabon, une sonnaille sur bâton du peuple Hoyo, de la province de Cabinda en Angola. Toutes ces pièces, que ce soit un outil, une arme, une parure, un siège, portent la marque d’un expressionnisme et d’un naturalisme raffinés et délicats.   

​Spécialistes des arts premiers, historiens de l’art, chercheurs, membres de la Congrégation, à plus d’un titre, les dix auteurs dont les savoirs se cumulent et se croisent, ont exploré la mémoire de la Congrégation. Ils retracent l’histoire de ces collections uniques et précieuses. En cours d’aménagement jusqu’en 2018, le musée spiritain des arts africain est situé à Allex, dans la Drôme. Cet ouvrage répond en outre à l’intérêt qui se manifeste de plus en plus pour les cultures africaines.

Dominique Vergnon

Sous la direction de Nicolas Rolland, Afrique, à l’ombre des dieux, collections africaines de la Congrégation du Saint-Esprit, Somogy éditions d’art, 220 pages, 203 illustrations, 24,6x28 cm, disponible à partir du 6 septembre, 39 euros. 

A signaler le jeudi 14 septembre à 17h, présentation de ce livre dans le cadre de Parcours des mondes www.parcours-des-mondes.com

 

 

 

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