Portraits, voyages et escales avec Gauguin

Après la sortie en septembre du film Gauguin, Voyage de Tahiti, s’ouvrira en octobre au Grand Palais l’exposition intitulée « L’Alchimiste », qui retrace son existence et l’ensemble de  son incessante démarche créatrice qui l’a conduit à explorer aussi bien la peinture que la céramique, la gravure que la sculpture. Paul Gauguin (1848-1903) est à l’honneur. Son œuvre est si riche qu’elle offre encore et toujours de nouvelles voies et son influence demeure marquante. Picasso sera un des premiers à mesurer l’importance du legs. Gauguin ne cesse de fasciner et d’interroger. Le nom donné à la magistrale huile sur toile, exécutée en 1897-1898, années douloureuses entre toutes, alors qu’il est à Tahiti, est une manière de poser la question fondamentale que chacun, à un moment ou un autre, sent monter en lui. D’où venons-nous, que sommes-nous, où allons-nous ? Dans une lettre à son ami George Daniel de Monfred, il écrit notamment : « …J’y ai mis là, avant de mourir, toute mon énergie, une telle passion douloureuse dans des circonstances terribles… » Œuvre testament. Au moment où la sienne se décompose, cette composition célèbre le cycle de la vie.

La publication de ces deux ouvrages ajoute à cette célébration. Isolé, luttant jusqu’au bout de ses forces au milieu d’une nature qui surabonde de sève, Gauguin peint et écrit. Racontars de rapin, rédigé dans un style « volontiers barbare », le manuscrit ayant été illustré de monotypes, et Avant et après, publié longtemps après sa mort, sont eux aussi des testaments dans lesquels Gauguin tour à tour raconte et dénonce. Il ne laisse rien passer, il ne filtre rien, il laisse filer les mots qui se bousculent, s’enchaînent, signent autant de scènes colorées, vivantes, vécues. Désinvolte, perspicace, enthousiaste, lyrique, drôle, Gauguin sur la page use de tous les tons comme sur ses toiles il emploie toutes les teintes. Souvenirs de sa grand-mère Flora Tristan, de Manet qui le félicite, de Degas bourru, de théâtre, de navigation, d’argent. Dans sa préface, Jean-Marie Dallet qui connaît bien et l’homme et l’artiste, retient les mots pour qualifier Gauguin, de « fugitif obstiné ». Bien d’autres seraient à proposer. Prenons simplement par exemple le P, une majuscule qui rythme au moins quatre points d’ancrage dans cette prodigieuse errance, Paris, Pont-Aven, Panama, Papeete. Il y aurait beaucoup d’autres points cardinaux à retenir.

C’est ce que fait l’auteur de ce livre qui est un double de Gauguin narrateur. Adoptant un langage que l’artiste n’aurait pas désavoué, il entreprend de le faire revivre. Marin, romancier, ami des aventures, Jean-Marie Dallet tient un miroir, entre dans la peau et la main, si l’on peut dire, de Gauguin, souffre avec lui, se réjouit avec lui, peint avec lui, soigne son compagnon Laval comme il s’affronte avec Van Gogh. « A Paris ne règnent que velléités, on y rêve de départ, mais l’on ne part pas, on dit : Fuir là-bas fuir…mais l’on ne fuit pas, on parle de steamers, d’exotique nature, mais l’on se cramponne au Jardin des Plantes ». La préface d’Hector Bianciotti est ciselée comme une gravure et ouvre ces pages imaginaires mais non fantaisistes, pour reprendre ses termes. Gauguin le coléreux, l’homme des quêtes impossibles, le « sauvage » des escales loin des civilisations, pleure Aline, sa fille « emportée en trois jours et…mes larmes sont des fleurs vivantes sur sa tombe », apparaît au long de ce texte nostalgique et sincère, comme un ami, l’ami des bonheurs et des infortunes. Cette immense frise faite « avec des formes et des couleurs » est bien son « dernier cri d’angoisse lancé vers le ciel ».

Dominique Vergnon

Jean-Marie Dallet, Je, Gauguin, la petite vermillon, les éditions de la Table Ronde, 240 pages, 10,8x17,8 cm, 8,70 euros (parution 5 octobre 2017)

Paul Gauguin, Avant et après, préface de Jean-Marie Dallet, la petite vermillon, les éditions de la Table Ronde, 272 pages, 10,8x17,8 cm, 8,70 euros (parution 5 octobre 2017).

www.grandpalais.fr; jusqu'au 22 janvier 2018

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