Anders Zorn, du portrait mondain à la nature suédoise

Dans la province de Dalécarlie, à Mora, petite ville située presqu’au centre de la Suède, une maison aux toits aigus, en bois clair, entourée d’un jardin agrémenté de statues, meublée dans le style suédois traditionnel et où l’atelier du peintre se trouve toujours dans son état de l’époque, est ouverte à la visite. Elle appartient à un artiste peu connu en France, au demeurant un des plus reconnus en Suède. Après le célèbre imagier Carl Larsson qui enchanta ceux qui découvraient son univers coloré et joyeux et qui bénéficia d’une ample rétrospective en 2014, le Petit Palais poursuit ses présentations inédites d’artistes oubliés dont la révélation constitue d’heureuses surprises. Le nom d’Anders Zorn prend rang parmi ces étoiles à reconquérir.

Né à Mora le 18 février 1860, entré tout jeune encore à l’Académie royale des arts à Stockholm, il pense devenir sculpteur mais finalement choisi la peinture. L’enseignement dispensé ne répondant pas à ses désirs d’indépendance, il part en voyage, découvre l’Espagne, se plaît dans les cercles mondains et intellectuels de Londres comme du Paris de la Belle Epoque, se rend par la suite dans divers lieux à la mode, Venise et Constantinople. Il revient régulièrement en Suède où il se marie en 1885 puis s’y installe définitivement par la suite.

Sa terre natale sera, à travers des scènes de vie rustique et des instantanés sociaux évoquant des conditions de vie souvent âpres (Le Marché de Mora, huile sur toile de 1892 ou Dans le fumoir, huile sur toile de 1906), l’autre axe majeur de sa carrière. A retenir ses autres voyages aux Etats-Unis dont celui effectué en 1893 à l’occasion de l’Exposition universelle organisée à Chicago. Une clientèle riche pose devant son chevalet, comme le président des Etats-Unis Grover Cleveland, ce que feront aussi les souverains suédois Oscar II et Gustav V et. De plus, excellent graveur, la renommée de Zorn est alors internationale. Il meurt le 22 août 1920 et a droit à d’imposantes funérailles. Son épouse Emma, soucieuse de faire vivre l’œuvre de son mari, s’attacha à réunir de nombreuses œuvres et créa un musée en 1939.

Son talent de portraitiste a ouvert d’emblée à Anders Zorn les portes de la haute société en particulier parisienne. Pendant près d’une quinzaine d’années, entre 1890 et 1907, il expose régulièrement au Salon de la Société nationale des beaux-arts dont il devient membre du jury, au même titre que John Singer Sargent, artiste américain ayant réuni autour de lui une clientèle fortunée. Aquarelliste virtuose, Zorn séduit par son talent mais aussi par sa sympathie. L’intérêt de ces aquarelles provient de la maestria des coups de pinceaux adroits, rapides, des alliances subtiles de couleurs qui restent dans une gamme chromatique contenue, des cadrages rapprochés, de la liberté de ton qui n’exclue jamais la distance que requièrent les modèles. Zorn a le don de saisir comme au vol l’essentiel de la psychologie de son sujet, d’en révéler les traits pour ainsi dire cachés, de les faire éclore à la surface du papier comme en témoigne le portrait de Jean Burnay, vêtu d’un élégant costume gris et assis dans un sofa capitonné de tissu bleu. Ce savoir acquis dans la pratique de l’aquarelle lui permet d’atteindre, lorsqu’il s’adonne à l’huile, une identique aisance et un jugement sans faille pour s’emparer du tempérament de chacun, que ce soit Coquelin Cadet, un acteur qui eut son heure de gloire à la Comédie française ou Rosita Mauri, une danseuse qui attira également l’œil de Degas. Au fil des années, la facture de Zorn gagne en assurance, les coups de brosse sont plus déliés, captent la lumière qui donne autant aux visages qu’aux vêtements une expressivité tirée de la vie et de la matière mêmes. A cela s’ajoute un savoir dans la composition qui pour sembler hâtive, est en fait soigneusement équilibrée afin de rendre le plus vivant possible ces moment d’observation citadine, montrant par exemple cinq personnages assis selon une diagonale ouvrant la perspective des visages  (Omnibus, huile sur toile de 1892). 

Rentré en Suède, loin des effervescences des villes, Zorn trouve dans les charmes de la vie quotidienne des habitants des campagnes des thèmes réalistes dont, grâce à un emploi judicieux des accents d’une lumière venue de côté dont il manie habilement les effets, il restitue l’ambiance joyeuse (Danse de la Saint-Jean) ou laborieuse (Pétrir le pain) des villages. Cette même atmosphère devient chaude, enveloppante, sensuelle quand il peint ces nombreuses jeunes femmes nues, à la peau douce et humide, au bord de l’eau dont chaque reflet s’irise et bouge.

Anders Zorn qui admirait Rembrandt s’affirme enfin comme un graveur exceptionnel, autre et non des moindres aspects de sa carrière que met en valeur cette exposition. La vogue de l’estampe et des eaux fortes était grande alors et des galeries comme Durand-Ruel en exposaient souvent. Attestant d’un désir de recherche graphique évident, le « style audacieux » de Zorn fut salué par la critique. L’ensemble réuni au Petit Palais rend compte de ce savoir-faire, autant dans la diversité des thèmes parfois au ton symboliste que dans les rendus d’ombres voulus par « une cacophonie de hachures superposées et irrégulières ». On mesure la justesse des mots d’Auguste Rodin qui avait noté que « Zorn a le privilège d’être un peintre intemporel. Aquarelliste de brio, son dessin et sa peinture sont toujours impeccables, sans pareil. Il a cette qualité, inconnue à notre époque, de faire incisif et non plat. C’est un illustre peintre européen ».

Dominique Vergnon

Christophe Leribault, Johan Cederlund et al., Anders Zorn, le maître de la peinture suédoise, éditions Paris Musées, 240 pages, 180 illustrations, 22x28 cm, 35 euros.

www.petitpalais.paris.fr; jusqu’au 17 décembre 2017

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