La Cité internationale universitaire de Paris, le monde des nations dans un jardin

A l’initiative de quelques hommes à l’esprit pionnier et pacifiste comme André Honnorat, Paul Appell, Émile Deutsch de la Meurthe, plus tard Raoul Dautry, qu’ils soient ministre, recteur ou industriel, la Cité Internationale Universitaire de Paris, la CIUP, voulue et créée par ces « entrepreneurs » visionnaires, accueille en 1925 ses premiers étudiants. Au fil des années, le savoir international se donne rendez-vous sur ce lieu qui non seulement attire de partout les jeunes intelligences mais aussi fait rayonner dans les différentes maisons, chacune avec son style particulier, la culture des nations qu’elles représentent. De la Maison du Japon évoquant un palais de Kyoto au Collège franco-britannique dont les briques font penser à une demeure anglaise, de la Maison de Cuba qui affiche le caractère latino-américain à la Fondation hellénique précédée d’un élégant portique à colonnes inspiré de l’Acropole, du Collège d’Espagne dominé par ses tours carrées à la Maison des étudiants suédois avec ses fenêtres « à petits bois » typiques des régions froides, enfin de la Maison du Cambodge qui ressemble à un temple khmer transporté à Paris à la Maison de Norvège et sa « spécificité scandinave », le promeneur qui circule entre tous les bâtiments peut reconnaître à distance le visage d’un pays, faire le tour du monde, contempler sa variété, voyager de civilisation en civilisation, admirer les frises, les décorations, les médaillons, les sculptures, les finesses en somme qui assurent aux bâtiments leurs caractères nationaux.

Les pavillons témoignent des traditions locales de l’Arménie, de l’Indochine, du Liban, de Monaco et les quarante maisons deviennent de ce fait autant d’affirmations architecturales exclusives. Même valorisation des coutumes à l’intérieur, que ce soit une fresque, une peinture, un bas-relief, les racines en quelque sorte de chaque peuple confirment les appartenances. Ici la mythologie grecque, là une décoration annamite, ailleurs l’aigle américain blasonnant un fronton ou encore la carte géographique néerlandaise situant îles et canaux valorisent les altérités. Quant à la Maison des Provinces de France, le regard se trouve devant « le palais rural et familier de la diversité française ».   

En 1933 est inaugurée la Fondation suisse. La modernité entre à son tour dans l’immense domaine qui en épousant l’histoire, passe comme le dit l’auteur de cette remarquable somme, « des fortifs au périph ». En effet, la Suisse, sous l’expertise et l’inventivité de Le Corbusier, désireux que son pays « apparût autrement que sous les visages agrestes du poète, un chalet et des vaches », innovait superbement. Associant à son habitude béton, acier, verre, métal, le célèbre architecte conçut un bâtiment fonctionnel aux lignes à la fois épurées et rigoureuses. L’Iran suivra cette tendance avant-garde.

Creuset où les connaissances se rencontrent et se développent, dans cet espace voué à l’universel ouvert aux portes de la capitale, dans leurs chambres où ils trouvent les signes du confort classique et les avantages du design, par milliers les étudiants échangent et s’enrichissent des contacts et des idées des autres. Travaux et recherches se croisent et se partagent dans les bibliothèques, les théâtres, les restaurants, les terrains de sport. Ce patrimoine unique est l’objet de soins vigilants, il est entretenu et restauré. Le Brésil a rénové son bâtiment en 1999-2000. La Chine aura sa maison en 2020. Ce qui au départ avait été jugé par certains comme une action utopique au lendemain de la Grande Guerre se révéla une magnifique aventure philanthropique mise au service des étudiants du monde entier. 

Aisément repérée grâce à son beffroi, autour de la Fondation Deutsch de la Meurthe, du nom d’un industriel qui fut un mécène exceptionnel, dessinée par l’architecte Lucien Bechmann, commencée en 1923 et qui a été la première maison de la Cité, les constructions se sont multipliées. D’une société des Nations pour étudiants la CIUP est passée à un monde globalisé. Entre ces repères fondamentaux, Brigitte Blanc étudie  la période de l’extension européenne et postcoloniale de cette incroyable tour de Babel des langues et des styles. Chaque chapitre reprend les évolutions du campus, rappelle ses difficultés, évoque la concurrence, indique les programmes de développement. Un index précis permet de se repérer. Ce livre ambitieux abondamment documenté et illustré constitue l’étude complète des « sociabilités » de ce nouveau phalanstère à la vocation planétaire.   

Dominique Vergnon

Brigitte Blanc, La Cité internationale universitaire de Paris, de la cité-jardin à la cité-monde, éditions Lieux-Dits, collection Patrimoine d’Ile-de-France, 392 pages, 375 illustrations, 24,3x29 cm, septembre 2017, 39 euros

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