Jean Malouel, les riches heures de "celui qui peint bien"

Dans un de ses ouvrages, l’historien d’art János Végh note que des tableaux des primitifs flamands, malgré la surcharge apparente, se dégage un discours essentiel fait de vérité et de justesse. En dépit de l’abondance des éléments décoratifs et de la profusion de détails, la magnificence de la représentation et la fermeté de la composition s’imposent et servent ce discours. "Comment ces peintres réussirent-ils à condenser dans un espace aussi réduit tant d’aspects de ce tourbillonnement que nous appelons la vie ?" s’interroge-t-il.
L’enluminure connaît en Flandre à cette époque un âge d’or. Dans le même temps, l’héraldique occupe une place primordiale dans la société et les commandes de peintures de blasons sont nombreuses. Ils servent en quelque sorte de signes d’identité, de titres, de motifs d’ornement sur les étendards, les bannières, certains murs.
En 1400, les Maelwael sont au rang des familles les mieux connues dans le duché de Gueldre et même en Europe pour la pratique de cet art. Herman et/ou Willem Maelwael exécutent (tempera et encre sur parchemin) vers 1393-1402 dans un armorial un superbe ensemble de blasons avec cimiers et casques surmontés d’animaux représentant les armes des ducs de Gueldre.

 

Le nom Maelwael signifie "celui qui peint bien".
Johan Maelwael, Jean Malouel en français, fils de Willem, est formé à ce travail qui exige autant de minutie que de créativité. Il voyage beaucoup entre Dijon, Paris et Nimègue, une démarche commune à la majorité des artistes d’alors, ce qui permet une circulation permanente des idées, des œuvres et des techniques.
A partir de 1384, le comté de Flandre est rattaché au duché de Bourgogne et leurs histoires désormais s’entremêlent. La carte qui figure dans l’ouvrage précise bien les domaines au plan géographique, tels qu’ils étaient à l’époque, le duché de Bourgogne se répartissant entre trois zones distinctes, avec au nord celui de Gueldre, au sud celui de Berry.

Jean Malouel est l’auteur d’un véritable chef d’œuvre emblématique de l’art gothique international qui se trouve en raison même de son exceptionnelle beauté, au centre de l’exposition qui lui est consacrée. Il s’agit de la Grande Pietà ronde venue du Louvre, jamais sortie du musée depuis 1962. Elle a été peinte pour Philippe le Hardi, amateur d’art et mécène, enterré à Dijon dans un fastueux tombeau dont Malouel réalise les dorures.
Le panneau en chêne est rond, avec au dos les armoiries du duc. Au centre du tondo se tient le Christ mort, la tête affaissée portant la couronne d’épines, le sang coulant du côté droit et des mains. Il repose entre Dieu le Père dont la chevelure blanche ondule légèrement et la Vierge dont la tristesse passe à travers le regard. Vêtu d’une sorte de tunique d’un rouge carmin qui contraste vivement avec le bleu de la tenue de Marie, Saint Jean manifeste lui aussi une sincère affliction.

"L’œuvre s’avère d’une grande richesse expressive, chaque personnage exprimant un sentiment différent." L’iconographie minutieuse est sans pareille, de même l’exactitude de l’anatomie du Christ et la virtuosité des plis. Ce tableau renvoie à une autre œuvre, Le Retable de Saint-Denis, à l’origine sur bois puis transférée sur toile, réalisée par Jean Malouel et Henri Bellechose, connu à Dijon de 1415 à 1444. Comme pour la précédente, on est saisi d’admiration par la composition des personnages, la richesse des visages, la somptuosité des couleurs et la variété des nuances bleues, rouges, vertes qui en se détachant sur le fond or sculptent les attitudes sans les figer. 

 

Très réputés pour leurs merveilleuses miniatures, avec leurs "perspectives atmosphériques, le réalisme des attitudes et des figures, les visions fantastiques…c’est tout l’art des peintres primitifs flamands qui s’exprime avec brio dans ces miniatures". Les trois Frères de Limbourg, Paul, Jean et Hermann sont les neveux de Jean Malouel. Ils bénéficient de l’héritage des savoirs qui se transmettent dans les familles. Ils ont réalisé pour Jean duc de Berry (1360-1416), à la suite de la commande de celui-ci, grand collectionneur d’art, des livres d’heures d’un incomparable éclat. Leur sens des sujets ruraux et citadins est telle qu’ils donnent aux scènes un réalisme à la fois touchant voire naturel mais véridique et profondément érudit, ce qui n’enlève rien à la force d’évocation. Villes, animaux, motifs de décoration avec des rinceaux et des feuillages délicats encadrent les images (Saint Christophe portant l’enfant Jésus, 1410, tempera, or et encre sur parchemin).

 

 

Les œuvres d’artistes comme Hendrik van Rijn, Jean de Beaumetz, Colart de Laon dont le savoir-faire est admirable apparaissent dans leurs beautés simples et raffinées en même temps dans les salles de l’exposition qui réunissent une magnifique série d’objets, statues, reliquaires, bijoux, médaillons, œuvres graphiques précieuses toutes d’une incroyable finesse, sur lesquels les pages de cet ouvrage rédigé par des auteurs spécialistes donnent un grand nombre d’informations.
A signaler que se tient dans l’aile voisine l’exposition consacrée au peintre Matthijs Maris, né à La Haye en 1839.

  

 

Dominique Vergnon

 

Pieter Roelofs (et al), Johan Maewael, 175 illustrations, 21,5 x 28 cm, Rijksmuseum editions, septembre 2018, 192 p. -, 35 euros (en anglais).

 

www.rijksmuseum.nl; jusqu’au 7 janvier 2018

 

Pour organiser sa visite : www.holland.com/culture

 

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