Mariano Fortuny, la conquête d’un style

Sa destinée a appelé les contraires, l’imprévu a bousculé ce qui aurait dû être, disons le cours normal d’une existence. La force de la jeunesse qui permet de tout oser voit la mort frapper trop tôt. Mariano Fortuny disparaît à 36 ans.
Ensuite la renommée qui l’entourait et rayonna de son vivant s’est assombrie peu à peu jusqu’à susciter un oubli certain qui serait devenu injuste si la valeur de l’œuvre n’avait pas un jour été révisée. Le style, qui se cherche, se colore d’impressionnisme ou de japonisme sans y être vraiment, se forme par à-coups au fil du temps constitue un ensemble à la fois intéressant par sa diversité et confus par ses divergences. Il apparaît finalement personnel et original. Quant à la carrière, elle s’ancre en Espagne, en Italie, en France où il a des affinités esthétiques avec les artistes célèbres du moment comme Meissonier et Gérôme, des pays qui presqu’à égalité revendiquent une part d’héritage.

Mariano Fortuny y Marsal, catalan de naissance, est un artiste qui associe les talents de peintre, d’aquarelliste, de dessinateur, de graveur, de modeleur. Lequel domine ? Difficile à dire. Son œuvre est étendue, on la (re)découvre avec surprise. Il n’a pas comme ses contemporains orientalistes, tel Fromentin, un sens affirmé des narrations épiques. Ses portraits (Mirope Savati, huile sur toile, 1865) sont académiques.
Plusieurs critiques ont trouvé qu’il était trop brillant voire "brillante" pour reprendre le mot acerbe de l’un d’entre eux.

 

Mais il a une imagination qui étincelle ainsi que le démontrent de nombreux tableaux comme sa Fantaisie sur Faust qui renvoie à l’imaginaire musical de Charles Gounod ou La vicaría, exposé à la galerie Goupil à Paris, jugée alors comme "une manière moderne à la française de Goya vue par Théophile Gautier".
Fortuny observe attentivement les sites de ses voyages et les retranscrit intelligemment. On salue sa touche nerveuse, ses associations osées de couleurs, la verve rapide de la main, son aptitude à saisir l’anecdote et lui donner une dimension nouvelle. Il valorise la modernité qui se répand en Europe. Vincent Van Gogh dans plusieurs lettres mentionne Fortuny et après s’être interrogé sur l’intérêt de son rôle, loue la "gravité" de certaines de ses eaux fortes comme L’Anachorète et l’Arabe veillant le corps de son ami.
Mort tout jeune également, Henri Regnault l’admirait beaucoup. Sur fond de drapeaux et d’une rangée de combattants glorieux, Regnault a peint le général Prim, originaire de Reus comme Fortuny, arrivant monté sur un élégant et piaffant cheval noir à Madrid à la tête des insurgés de la révolution espagnole de 1868.
Fortuny pour sa part peint entre 1862 et 1864 une longue toile, voisine de dix mètres, relatant la bataille de Tétouan survenue au Maroc en 1860 à laquelle participa ce militaire.

L’éclectisme qui caractérise Fortuny se reflète dans les objets que son goût, sa culture, son ouverture d’esprit ont réunis et qui s’identifie à ce qu’on nommait alors en Espagne el coleccionismo, une sorte d’aventure pour l’intelligence. Cette collection à l’évidence portée vers les arts orientaux, du Maroc à la Perse, documente à travers des œuvres graphiques remarquables les arts et les savoirs de ces contrées encore mal explorées.
Son atelier à Rome, en 1874, tel que le montre un tableau de Ricardo de Madrazo y Garreta, témoignait de cette affection marquée pour l’exotisme.

En le suivant au fil des tableaux qui ponctuent les pages de cet imposant ouvrage qui accompagne une exposition de grande envergure et parfaitement présentée, le parcours de Marino Fortuny donne le sentiment d’être une incessante et jamais satisfaite conquête d’une virtuosité voulue comme un objectif en soi : rendre au plus près le mouvement, la foule de la corrida, la substance  des êtres, les détails des objets jusqu’aux plus petits, les lumières changeantes de ce que son regard percevait.

La facture est rapide, ne néglige rien, rend les textures des choses et l’instant des événements sans peser, comme on le voit sur des feuilles où la concision rejoint la spontanéité (Idilio de 1868 ; Músico vers 1869 ; Plage africaine de 1867).
Par le dessin, conventionnel au début puis de plus en plus libre, expressif, réduit à des notations essentielles (on pense aux paysages exécutés à Portici), par la gravure ensuite, véritable école pour saisir les contrastes, par l’aquarelle enfin, vaste registre où Mariano Fortuny se révèle littéralement un auteur de premier rang, cette conquête passe par les anciens maîtres dont l’étude attentive donnera au travail une épaisseur, de l’étoffe, un savoir accru, une griffe propre.

 

Copier les grands comme Goya, Velázquez, le Greco, Van Dyck, Tintoret, double exercice que Fortuny réussit, prouvant ses compétences, répondant au défi de rivaliser avec anciens les plus insignes.

On peut certes trouver dans cette abondante production, parfois rococo, parfois au bord de la scène de genre, réalisée en peu d’années, ce que la critique considérait à l’époque comme le tableautin, une qualité épinglé pour sa préciosité par les Goncourt. Mais ce serait retenir le secondaire au détriment de l’essentiel dont cette vaste rétrospective, avec 170 œuvres, rend compte. Mariano Fortuny est un artiste dont on comprend le succès passé. Il revient et s’impose.
Un succès visible à nouveau, au Prado, lieu au cœur du Madrid des musées prestigieux.

 

Dominique Vergnon

 

Javier Barón, Fortuny (1838-1874), 24 x 30 cm, nombreuses illustrations, Museo Nacional del Prado, octobre 2017, 480 p.-, 38 euros.

www.museodelprado.es; jusqu’au 18 mars 2018

 

 

 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.