Georges Michel, le pathétique est son royaume

Rien ne frappe plus le regard, quand on ouvre cet ouvrage consacré à Georges Michel (1763-1843), que la vigueur et la vérité des éléments naturels évoqués de toile en toile par le pinceau d’un peintre longtemps oublié, enfin mis à l’honneur. Le ciel partout immense, le vent soufflant sur les plaines, les nuages dérivant au-dessus des vallées, les bourrasques menaçantes et les pluies tombant à l’oblique, les horizons reportés jusqu’à un lointain indéfini font littéralement ressentir leur présence et renvoient l’homme à sa juste mesure.
Dans chaque tableau, leur donnant une unité visuelle qui se renouvelle à chaque fois, une lumière originelle entre et s’impose, parfois en force quand la tempête arrive et assombrit l’air, parfois en douceur quand le soleil éclaire la campagne et y pose une tâche dorée.
On pense alors à certains tableaux que John Constable exécute pratiquement une dizaine d’années auparavant (La Baie de Weymouth à l’approche de l’orage).

L’influence des maîtres hollandais est là, évidente, irrécusable, celle de Jan van Kessel, de Meindert Hobbema ou de Jacob van Ruisdael. Mais Michel, qui voyagea peu sinon en Ile de France, poussa vers la Champagne, la Picardie, voire Dunkerque, s’échappe de cette tutelle en ajoutant l’atmosphère propre des décors qu’il arpente autour de Paris et une mélancolie alliée à une énergie qui touche l’universel. Les tonalités qu’il peint sont celles que l’œil du promeneur a enregistrées.
Geneviève Lacambre, un des auteurs de ce livre accompagnant l’exposition qui vient de s’ouvrir à la Fondation Custodia, précise qu’un critique, Raymond Bouyer, dans la Gazette des beaux-arts d’octobre 1897, estime que le peintre est "l’aîné des modernes", le compare à "Rembrandt, Turner, Beethoven" et déclare que "le pathétique est le royaume de Michel".  

Peintre de l’instant dans l’avancée du jour et des saisons, ajustant au plus serré les couleurs opposées, situant çà et là de petits repères, Michel déploie toujours l’espace et le distend à plaisir vers l’infini pour amener le regard à percevoir cette ligne fragile qui partage l’obscurité  des cieux avec l’ocre des sols ou des grèves.
Avec le temps, la facture évolue, passant d’un grand souci du détail (La Sablonnière) à une espèce de rage de la brosse qui manifeste l’empressement que le peintre a de traduire l’orage, aboutissant à son traitement moderne, audacieux et pour ainsi dire surréaliste (Paysage orageux). Ces panoramas amples où se distinguent des petits personnages, des troupeaux, une diligence, une chaumière, il les sublime, c’est-à-dire les élève dans "un mouvement ascensionnel", leur assure une dimension qui devient à la fois céleste, cosmique, tellurique.
Les paysages de Georges Michel absorbent le sujet au profit d’une dynamique intérieure, silencieuse et invisible", écrit Alain Tapié, autre auteur du livre.

Un thème qui pourrait mettre en relief la manière dont Michel s’approprie le spectacle de la nature et situe des lieux au demeurant recomposés par son imagination est celui du moulin. Indifférent aux bourrasques et prêt même à les affronter, l’édifice solitaire posé sur une colline, une falaise ou encore la butte Montmartre domine de haut les alentours et de ses ailes voisine avec les nuages. Il ne fait aucun doute que Michel connaît le tableau de Rembrandt, Moulin, de 1645-1648 et s’en inspire.
Mais il en élargit le rôle premier d’acteur de l’activité humaine pour lui donner dans le site qu’il occupe une place de témoin, l’auréolant d’un pouvoir singulier, tour à tour protecteur, énigmatique, fantastique. Pas loin d’une vingtaine de moulins peuvent être identifiés dans les tableaux présentés. 


Remarquable et prolifique dessinateur, organisant lui-même "un an avant sa mort…la vente de deux mille de ses dessins, petits et grands, comme le précise Ger Luijten, Michel travaille avec soin les perspectives. En bouquet, moussu, gracile, solide, chêne et saule, l’arbre est un motif qui s’enracine au cœur de cette production. Sur quelques dessins à la pierre noire et estompe sur papier soit bleu, soit gris, soit beige, d’une délicatesse extrême, la manière apparaît d’autant plus stupéfiante et virtuose que sans rien omettre de la scène, elle parvient à en dissoudre la réalité et à l’offrir à la rêverie et la liberté de la pensée (Vue de coteaux). 

La vie de Georges Michel reste mal connue, les interrogations demeurent. Il n’a signé que très peu d’œuvres. On sait qu’il exposa plusieurs fois au Salon, qu’il donna des leçons de dessin, qu’il ouvrit "une boutique de curiosités".
En revanche, une certitude : Van Gogh fut un véritable admirateur du peintre. Il le mentionne dans sa correspondance, il avait vu ses œuvres qui lui parlaient de ce qu’il aimait, la Création. Même si cela est vrai à certains d’égards et reste à approfondir, Georges Michel est considéré comme reliant le Siècle d’Or hollandais aux paysagistes, ceux par exemple de Barbizon. Il est cela sans doute mais il est davantage, un artiste difficile à classer, isolé, qui a souffert de "médiocres imitations et d’à peu près qui défigurent son image".
Ses vues tourmentées n’annoncent-elles pas le romantisme ?

La monographie élégante et très documentée comble ainsi un vide d’une cinquantaine d’années et comme cette exposition comptant plus de quarante peintures, (beaucoup venues de collections privées), lui rendent un bel hommage d’autant plus mérité. C’est l’occasion de voir en outre les récentes acquisitions d’œuvres graphiques de la Fondation ainsi que les portraits en miniature, regroupant de très nombreux artistes, célèbres ou ignorés.
De Jan van Goyen, mort à La Haye en 1656 à Charles Donker, né à Utrecht en 1940.

Dominique Vergnon
 

Magali Briat-Philippe & Ger Luijten (sous la direction de), Georges Michel. Le paysage sublime, 25 × 28 cm, nombreuses illustrations, éditions Monastère royal de Brou, Bourg-en-Bresse/Fondation Custodia, 2017, 208 p. -, 29,00 euros.

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