Maîtres d’art, en bonne compagnie

L’image « enseigne qu’il faut chercher au-delà des évidences trop manifestes », notait René Huyghe, conservateur en chef des peintures du Louvre, élu à l’Académie française en 1960. Devant la toile ou la feuille où rien n’existe encore, l’artiste a la liberté de créer. « Il faudra qu’il triche ou qu’il transige ; qu’il triche pour donner à cette toile quelque chose des apparences de la nature ; qu’il transige pour adapter ces apparences aux possibilités de la toile » poursuit l’écrivain dans son célèbre ouvrage « Dialogue avec le visible ». Etabli dans le silence, le dialogue a pour seuls interprètes l’idée et la main de l’artiste. « Quand je commence un tableau, je voudrais toujours le dire en une seule fois » admet Pierre Boncompain. Avec lui, ni triche ni négociation. Une authenticité jamais démentie. Comme si toutes les pièces de ses œuvres s’aimantaient, se soudaient et n’en formaient plus qu’une seule afin que « de tout se dégage l’harmonie ».

Sa vie durant, Pierre Boncompain - le nom est d’origine toscane, buon compani, qui implique à la fois accompagnement et partage - n’a cessé de dessiner et de peindre. « On m’a raconté que bébé, un tableau se décrocha et tomba dans mon berceau. N’ayant pas réussi à me tuer, la peinture consentit à me faire vivre ». Son parcours le prouve. De Shanghai à San Francisco, son talent de créateur est reconnu un peu partout dans le monde. Grâce à cela, il a pu acquérir des œuvres des peintres qu’il aimait, constituant ainsi une superbe collection. Les voici rassemblées autour des quelques points cardinaux qui orientent l’art à ses yeux, les valeurs, les formes, les rythmes. Il a décidé de faire don de cent œuvres au musée Saint-Martin de Montélimar qui lui avait organisé en 2014 une ample rétrospective. Geste généreux permettant à cette institution  d’avoir désormais sa collection permanente. « Nous avons enfin une histoire de l’art des XIX et XXème siècles résumée en un seul espace » disait un visiteur.  

Premier achat, première émotion, il  acquiert l’affiche France Champagne réalisée par Pierre Bonnard. Ensuite, mais sans que cela constitue la chronologie de ses « émerveillements », viennent Toulouse-Lautrec dont on voit le dernier travail exécuté quatre jours avant sa mort (Miss Ida Heath, danseuse anglaise, lithographie de 1894), Dufy et ses études à l’encre de Chine parfois rehaussées de lavis pour la Fée électricité, Rouault puissant et émouvant, Goya dans le registre de son fantastique génie, Manet et sa Lola de Valence, Corot auteur d’un merveilleux portrait de jeune fille à la mine de plomb, Renoir heureux avec ses jeux et ses sourires d’enfants, Chagall et son Couple dans un nuage, Dunoyer de Segonzac d’une économie de moyens saisissante. Le visiteur peut découvrir trois vues au sépia du canal de la Giudecca à Venise, exécutées par  Zoran Music, le graveur slovène estimant que l’image « est d’abord un éclairage de l’esprit et une lumière intérieure ».

Des mots que Pierre Boncompain ferait aisément siens. La série de Picasso ne cesse de surprendre par l’énergie du trait et l’audace des sujets. Celle des estampes japonaises n’est pas moins surprenante, cette fois par la finesse des lignes et l’aisance des cadrages. Braque enfin, l’autre initiateur du cubisme, qui confectionna en 1961 trois lithographies en couleurs gaufrées. L’une appartint à Malraux, l’autre à l’éditeur d’art Louis Broder, la troisième entra chez Boncompain. A chacune de ces acquisitions, « il me semblait mettre un pied dans l’entrebâillement de la porte de l’atelier » de ces acteurs du dialogue avec le visible.

A ces œuvres s’ajoutent deux domaines de couleurs et de formes nourries de la lumière drômoise qui n’a cessé de l’inspirer. Des tapisseries riches en matières et en gammes de tonalités parfois très modernes, des céramiques aux volumes parfois très osés. Ces pièces, dont certaines entrent dans la donation, éclairent la pierre des sobres salles du château des Adhémar, un palais médiéval bâti au XIIème siècle sur les hauteurs de la ville.

Dernier volet de la donation, une longue suite de pastels traitant d’un sujet souvent abordé, souvent maltraité, thème qui exige une pensée véritable et une manière éprouvée, Le Cantique des Cantiques. Des pastels autour desquels se rejoignent spiritualité et sensualité, notions entrées depuis longtemps dans le vocabulaire de Boncompain et posées sur sa palette. Il faut s’approcher, percevoir les nuances des teintes insufflant de la vie au chant d’amour éternel. Voir leur « délicatesse », dit Bernard Sapet, commissaire de l’exposition, un mot qui signe ce long poème visuel.

Dominique Vergnon

Boncompain et les grands maitres, de Renoir à Picasso. Regard sur une donation, 22x28 cm, 99 illustrations, MAC Montélimar, mai 2018, 112 pages, 15 euros.

MAC Saint-Martin et château des Adhémar, Montélimar ; du 19 mai au 31 décembre 2018

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