La tapisserie, « un art de l’ostentation »

Un art méconnu, un domaine réservé aux spécialistes, un art oublié du grand public, un champ artistique ignoré. Ces expressions souvent entendues tendraient à prouver que la tapisserie demeure un art à part, une sorte de rareté décorative, ne bénéficiant pas du même engouement que la peinture voire que la sculpture et donc de l’immense audience des expositions consacrées aux peintres et aux sculpteurs.
Quelques tapisseries sont certes célèbres, celles de Bayeux (qui est d’ailleurs une broderie), de la Dame à la licorne visible au musée de Cluny, de l’Apocalypse exposée au château d’Angers. Mais à part cela, qui connaît les merveilleuses verdures des Flandres ou d’Aubusson, qui apprécie les tapisseries d’apparat des édifices publics consacrées à des sujets religieux et historiques et réalisées sous la Restauration, qui encore est au courant des créations contemporaines, venues pour certaines d’ateliers indépendants ?
Sait-on que leurs sources d’inspiration sont innombrables, de la mythologie au roman littéraire, générant la narration épique comme la scène de genre ?
Sait-on encore que de grands artistes - on n’oublie pas Raphaël, Boucher et Oudry - comme Picasso, Matisse, Paul Klee, pour ne citer que les plus récents, ont créé des cartons magnifiques qui ont donné lieu à autant de splendides tissages ?
Il est temps de contempler cet art sous d’autres perspectives.
Un monde inouï s’ouvre alors à la curiosité.

 

Remontant à la plus ancienne antiquité, connue en Egypte et en Mésopotamie, puis en Grèce et à Rome, florissante dès le haut Moyen-Age, au plus proche de siècles en siècles des pouvoirs royaux ou républicains, lien entre commanditaires et lissiers, la tapisserie à ceci d’unique qu’elle additionne la beauté à l’utilité, l’audace au goût, la décoration à la fonction, le profane au sacré. En portant son attention sur quelques illustrations, on peut y voir, choisies au hasard d’un fabuleux répertoire, aussi bien les armes de l’abbé de Cîteaux, Pierre de Nivelle (tissée à Felletin entre 1625 et 1635) que Don Quichotte monté sur un cheval de bois, des animaux alors très exotiques comme le caméléon, la girafe ou le lion (provenant sans doute également du centre de la France, au XVIème siècle), les récits antiques ou bibliques traduits de façon maniériste ou classique, une sirène et un poète (d’après le tableau de Gustave Moreau, manufacture des Gobelins, tapisserie de haute lisse, 1895-1899).
La tapisserie est bien en cela un reflet constant de l’histoire à la fois humaine et artistique, étant de ce fait un fidèle témoignage de l’aventure conjointe de l’existence des hommes au long du temps et de l’art qui traduit visuellement leurs visions du monde.

 

La tapisserie mérite donc bien d’être mieux présentée, découverte ou redécouverte, expliquée et étudiée. Comme le vitrail, art d’ostentation ainsi que le rappelle dans sa préface Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, résultat d’un processus complexe de fabrication, ce qui peut en effet dérouter le non-initié, produite dans des ateliers « capables de mener à bien les grandes commandes princières ou ecclésiastiques », la tapisserie est toujours une œuvre d’art. Elle est perçue comme "un symbole de la puissance et de la richesse de ses propriétaires". Elle constitue enfin, il ne faut pas l’oublier, un patrimoine précieux, qui par son infinie mémoire de styles et de sujets, a droit à la plus grande considération.

 

Le lecteur dans ces pages est sans cesse invité à enchaîner les nombreux fils qui dessinent une épopée passionnante. On apprend par exemple que François 1er, en concurrence avec les autres souverains européens comme Charles-Quint ou Henri VIII, se fournissait pour la collection royale à Bruxelles, ville alors réputée pour sa production inestimable de séries toutes à or et à argent mais que les ateliers parisiens, pour les lieux où siégeaient ses représentants, offraient toute la compétence requise. Partout, les traditions étaient fortes, de Tours à Beauvais en passant par Toulouse et Arras, quand la tapisserie représente autant un enjeu économique que politique.
Au XVIIIème siècle, on note que Diderot écrit des lignes acérées à-propos des cartons exécutés par Noël Hallé mais s’extasie devant "la perfection technique des Gobelins et le pouvoir d’imitation de la tapisserie", les pièces ayant en effet la prodigieuse vérité d’un tableau.       

 

Le propos et l’ambition de ce bel ouvrage, abondamment illustré notamment avec des détails de tapisseries qui révèlent à la fois la qualité du travail des lissiers, la réalité des effets de volume, la vérité des couleurs, ouvrage auquel ont collaboré une bonne douzaine d’éminents spécialistes, historiens d’art et professeurs, conservateurs et restaurateurs, est de nous faire revivre ces siècles où la tapisserie triomphe. Ils se déploient au long des deux grandes sections, l’une consacrée à l’histoire couvrant la période allant du Moyen-Age au XIXème siècle et l’autre à la modernité, à savoir le XXème siècle y compris les réalisations les plus ultimes telles ces formes révolutionnaires qui sont montrées vers la fin de cette brillante monographie.
Le tout est complété par un volet particulièrement intéressant, concernant les techniques de restauration et de conservation au mobilier national.

 

Dominique Vergnon
 

Benoît-Henry Papounaud (sous la direction de), La tapisserie française, du Moyen-Age à nos jours, 23,8x30,7 cm, 250 illustrations, Les éditions du patrimoine - Centre des monuments nationaux, Mobilier National, Cité internationale de la tapisserie Aubusson, octobre 2017, 352 p.-, 49 euros. 

 

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