Le graffiti, œuvre vraie ou acte iconoclaste

Geste artistique, trace de la main sur un support donné, signe d’un passage furtif que la matière conserve, décoration vue comme un outrage ou perçue comme un dommage, information ou insulte, témoignage véritable ou argument vandale, mémoire à préserver, fragment de vie à effacer? Ici preuve d’un événement, il devient ailleurs un certificat de mauvaise inspiration. Doit-on voir et célébrer là une écriture nouvelle, comme une novlangue pour notre temps, surgie à la suite de celle d’ « Oceania » inventée par George Orwell ?
Ne serait-ce pas une souillure plutôt, une fausse manifestation de la liberté ?
Tout et son contraire peut être dit au sujet de ces inscriptions qui partout, ornent ou dénaturent des murs, des monuments, des palissades, des façades d’édifices. Faut-il donner au graffiti la validité d’une fresque en réduction ou la lui refuser ?
La justifier à l’aulne du passé ou la proscrire face à sa prolifération ?
Message et signature à la fois, slogan intelligent et notation sauvage, le graffiti interpelle. La loi l’encadre. D’où viennent-ils, que disent-ils, quelle valeur ont-ils ?

Cet ouvrage fait en quelque sorte la synthèse de ces questions et y apportent des réponses à la fois historiques, politiques, sociales et esthétiques. Les illustrations servent à étayer le texte. Leur diversité montre que les graffitis appartiennent à l’histoire des peuples, des symboles, des engagements, individuels ou collectifs. Si le tag et le graff s’imposent au regard urbain, ils renvoient aussi à un héritage. On peut condamner, on peut admirer, on se doit d’essayer de comprendre ce phénomène. Comme ils ne laissent pas indifférents le passant, ces pages ne laisseront pas sans réponse le lecteur. Le débat est large, ancien. Il ne se tranche pas aisément.

 

Graffiti, le mot est arrivé de la Grèce ancienne jusqu’à nos jours par l’Italie. Il dérive du terme grec graphein (γράφειν) qui joint les deux concepts d’écriture et de peinture. En italien, il devient graffito. Il faut associer la notion d’égratignure à celle de stylet ou de poinçon. Le mot n’a pas manqué d’être célèbre, par exemple avec Marcel Proust qui décrivait « un de ces escaliers de service où des graffiti obscènes sont charbonnés à la porte des appartements ».

Guidé par les analyses de vingt spécialistes venus d’horizons multiples, de l’archéologie à l’architecture, de la recherche au CNRS aux études de l’EHESS, de l’administration pénitentiaire à la connaissance cinématographique, le lecteur voyage dans le temps et les lieux. Parti des origines des dessins rupestres et pariétaux, il débarque dans la sphère du numérique. Nous suivons l’évolution au long des âges de la portée véritable de cette pratique quasiment universelle qui, si elle mérite le respect quand il s’agit d’œuvres graphiques authentiques, reconnues, comme ces iconographies relevées sur plusieurs continents (Australie avec les aborigènes, Afrique du Sud avec les Bushmen, Amérique du Nord avec les Indiens), n’en est plus digne dès lors qu’on est devant une affirmation voulue de dégradation, un tracé informe  et sans intérêt. La prolifération d’inscriptions privées de sens sur n’importe quelle surface publique n’entre pas semble-t-il dans ce registre. Où se situe la frontière dans les différentes formes de la liberté d’expression, lorsque la propriété privée est concernée ?

 

Tous les aspects de « ces signes étranges à fleur de pierre » sont abordés, de la propagande à la prière, de la phrase lyrique à la revendication, de ce qui s’apparente à l’ex-voto religieux à l’incision quotidienne sur la paroi de sa cellule du prisonnier décomptant les jours. Entre la complaisance affichée qui considère que tout a une valeur et la condamnation sans appel, il y a place pour une échelle des jugements. Les textes aident à mieux distinguer ce qui appartient à un patrimoine réel de ce qui défigure l’espace. Ils permettent d’éviter les confusions faites autour du street art, visible partout, cette sorte de « musée à ciel ouvert » qui là encore est aussi irritant quand il est mal pratiqué que séduisant quand l’auteur a du talent.
Entre les graffitis anciens du musée de Marsilly et les soi-disant œuvres visibles désormais partout exécutées à la bombe aérosol, entre l’inscription lumineuse peinte par Rembrandt qui apparaît devant les yeux étonnés du roi Balthazar et les pichaçào couvrant un immeuble de Sao Paolo, il y a la distance infinie ou l’absence absolue d’un mot, culture.

 

Dominique Vergnon

 

Laure Pressac (sous la direction de), Sur les murs, histoire(s) de graffitis, 240 illustrations, 220 x 280, Les éditions du Patrimoine, mai 2018, 192 p.-, 29 euros. 

 

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