Instants de vie japonaise

L’impression sur bois appartient à l’histoire du Japon. Au VIIIème siècle, des textes bouddhistes étaient imprimés ainsi et circulaient partout. Leur niveau de perfection esthétique était inégalé ailleurs, sans doute même en Chine d’où pourtant la technique provenait. Plus tard, les estampes japonaises ont fait connaître à tout l’univers le traditionnel mouvement ukiyo-e, cette image qui saisit l’éphémère et l’instable. Des maîtres célèbres tels qu’Utamaro, Hokusai, Harunobu, Hiroshige, héritiers des anciens peintres sur papier, en ont porté le style et la narration jusqu’au sommet de l’excellence et de l’expressivité. On dirait que les mots écrits par le moine Manzeï au VIIIème siècle ont traversé le temps pour venir encore inspirer les artistes qui pouvaient, dans les premières décennies du XXème siècle, se réclamer d’un legs aussi prestigieux.
« À quoi comparer notre vie en ce monde sinon à la barque partie de bon matin et qui ne laisse pas de sillage ».

À la fin du XIXème siècle, l’évolution sociale et l’ouverture croissante du Japon au reste des nations, suscitant à la fois un renouvellement des goûts et un élargissement des sources, entraîne un changement radical dans la vision que les artistes nippons avaient du spectacle quotidien. On assiste dès lors à une évolution des thèmes et des méthodes employées à même de répondre aux attentes d’une clientèle cultivée et désormais étrangère. Tout en en conservant le socle, les productions sont inévitablement en rupture avec l’ancienne tradition qui les avait initialement formées.
La gravure sur bois souffrant de la concurrence de l’imprimerie et de la lithographie, plus tard de la photographie, il faudra lui trouver un second élan. Le marchand et imprimeur Watanabe Shozaburo (1885-1962) va jouer un rôle considérable dans ce que l’on a pu considérer comme un authentique âge d’or de l’estampe.

 

On est là devant une autre manière de donner à voir les sujets d’hier comme les femmes, les acteurs de théâtre, la nature, les paysages. Elle apporte des innovations au plan plastique et des émotions visuelles sans précédent. Si les guerriers ne sont plus à la mode, les femmes, les villes, la ruralité, les fleurs, les personnages du kabuki le demeurent. Le mouvement shin hanga, ou nouvelle estampe, compte comme naguère l’ukiyo-e, des maîtres aux talents reconnus.
Plus de cinquante artistes sont mentionnés dans ce beau livre, accompagnées de leurs œuvres les plus remarquables.

En parallèle à cet ancrage local, les échanges avec d’autres approches notamment apprises auprès des artistes occidentaux contribuèrent à développer une créativité qui ne cessera de se développer. La modernité s’est imposée, les perspectives sont maîtrisées, les jeux de couleurs sont illimités, la lumière multiplie les effets, l’oblique ouvre l’espace. Les tirages sont limités, ce qui n’était pas le cas avant.
Dans le même phénomène de réaction vis-à-vis de la tradition s’inscrit le courant sosaku hanga, résultat du travail d’un seul créateur, qui imprime en quelque sorte son moi sur la planche de bois de cerisier.

Réunissant près de 220 œuvres venues du musée Nihon no hanga, situé à Amsterdam, qui compte plus de 2000 estampes collectionnées avec passion pendant un quart de siècle, l’exposition qui vient de s’ouvrir à la Fondation Custodia témoigne d’une volonté d’ouverture qu’il faut saluer.

 

Cadre après cadre, image après image, ce sont autant de petits moments d’émerveillement et de dialogues qui s’offrent, tant l’œil qui les découvre scène après scène est surpris autant que séduit par l’inventivité et la virtuosité des artistes à traduire l’intimité des corps (Ishikawa Toraji dans sa série Dix types de nus féminins), la sérénité des paysages (Sakamoto Hanjiro) ou la vigueur éloquente des visages des acteurs (Natori Shunsen).

 

C’est par la concision,  la simplicité, une liberté soutenue par un souci d’exactitude que le discours prend son ampleur. Le lecteur comme le visiteur effectue un véritable voyage à travers le Japon et le regard porté sur son évolution.
Un des points particulièrement captivant est la manière dont certains artistes du sosaku hanga ont traité cette irruption de la vie moderne, en utilisant un langage presque abstrait, comme Onchi Koshiro,  qui fait preuve de virtuosité et d’audace dans les cadrages, les lignes épurées, les réserves de papier et les modelés de teintes, concourant à créer une atmosphère particulière et à « donner à voir un instant intime, comme à la dérobée ».   

 

 

 

 

 

Dominique Vergnon

 

Chris Uhlenbeck, Amy Reigle Newland & Maureen de Vries, Vagues de renouveau, estampes japonaises modernes 1900-1960, 270 x 190, 400 illustrations, Fondation Custodia, octobre 2018, 536 p.-, 49 euros.

www.fondationcustodia.fr jusqu’au 6 janvier 2019

 

 

 

 

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