Histoire et visages de l’Amérique

Peintres et pionniers, l’idée de rapprocher les deux mots est tentante et logique. Elle prend du sens à certains moments, elle en perd à d’autres, elle se renouvelle sans cesse. Au long de cette période où l’Amérique façonne son histoire et ses visages, ils se retrouvent. Comme si les uns et les autres partageaient un but commun. Il est des artistes qui sont de véritables défricheurs et des pionniers qui ont regardé la terre à conquérir comme des tableaux offerts par la nature. Bon nombre d’artistes outre-Atlantique ont tenu à part égales les deux termes de l’équation. Ils ont été des conquérants dans leur domaine. Et si longtemps ils ont été les héritiers des canons esthétiques européens, ils les ont intégrés, adaptés et amplifiés à la mesure des sources locales, les enracinant dans une culture « native » riche et diverse.
Ces artistes participaient ainsi à la création d’une identité proprement américaine. Leurs talents d’initiateurs ont été en soi suffisants pour faire que leur monde, venu de l’ancien, en devienne un nouveau. 

Suivons les étapes. Les descendants des immigrants peignent des portraits qui deviennent des manières d’icônes de cette rencontre entre deux univers. Plusieurs tableaux le montrent. D’un côté celui de Gustavus Hesselius, d’origine suédoise, arrivé à Philadelphie sur la côte est en 1711, qui peint Lapowinsa, chef des Lenapes, un peuple amérindien originaire de la rive du fleuve Delaware ; celui de Robert Feke de l’autre, qui avec le portrait du Reverend Thomas Hiscox (huile sur toile de 1745) renvoie par sa facture à ceux des Puritains écossais. Au XVIIIe siècle, les critères se maintiennent, les goûts d’une clientèle aisée sont identiques à ceux des amateurs français et anglais.

 

Acteur au service de la jeune nation qui se déploie, le paysage, romantique souvent, grandiose toujours, prend le relais dès le début du XIXe. La nature intervient non seulement en tant que toile de fond notamment dans ce qui restera désormais comme l’épopée collective du « Wild West » quand les trains empanachés de fumée traversent d’est en ouest un continent en grande partie inexploré, mais encore comme symbole d’un eden recouvré, qualifié par le terme « Manifest destiny » tel que le décrit avec émotion Albert Bierstadt (Vue du Lac Donner, Californie, 1871).

Les peintres comme les pionniers ont pour eux le gage de la liberté d’entreprendre. Entre 1840 et 1851, l’American Art-Union (AAU) contribue à répandre une vision nostalgique qui sert à ancrer dans son passé une nation entière qui se cherche encore. Au sortir de la guerre civile, l’économie devient un élément fondateur au rôle croissant. Deux grandes expositions universelles marquent l’âge d’or qui s’annonce, la seconde surtout, fêtant en 1893 les 400 ans de l’arrivée de Christophe Colomb.

 

 

Le style est alors à l’impressionnisme, aux scènes mondaines, aux portraits qui rappellent ceux de Van Dyck ou de Velázquez. John Singer Sargent coudoie l’élite et Whistler séduit avec ses prodigieuses atmosphères nocturnes dont le tableau Old Battersea bridge apparaît comme le plus évocateur. La modernité est assez forte pour entrer en réaction avec l’avant-garde européenne. L’Armory Show connaît un grand succès, à Boston, à Chicago,  et New York, le lieu mythique qui a supplanté Paris et devient le berceau de multiples forces et tout autant de défaillances (William Henry Johnson, Street Life, Harlem)  qui, quels que soient les champs d’innovation, s’imposent au reste de la planète.
Plus que jamais, les peintres sont regardés comme des éclaireurs.

 

Hopper, Mark Rothko, Georgia O’Keeffe parmi tant d’autres témoignent de la diversité des thèmes d’inspiration et de l’originalité de talents inégalés. Les dernières tendances de l’art américain renversent les courants habituels. Les sujets traitent aussi bien de la vie quotidienne comme la foule au sortir des grands magasins (Isabel Bishop avec Hearn’s Department Store, de 1927) que des événements dramatiques comme la sécheresse qui servira à John Steinbeck pour son fameux livre « Les raisins de la colère », publié en 1939. 

 

 

 

 

Raconter l’Amérique en 130 tableaux couvrant une période de trois siècles pouvait être une gageure difficile à tenir. Les œuvres présentées réussissent à relever le défi. Les huit chapitres qui sont ouverts par cette exposition, suivant l’ordre des années, en apportent la preuve. De La Déclaration de l’Indépendance de John Trumbull, toile exécutée en 1776 à L’Accent grave, huile sur toile de Franz Kline, de 1955, le parcours laisse aux images leur éloquence.

 

Dominique Vergnon

 

Barbara Schaefer, Anita Hachmann, Il était une fois l’Amérique, 300 ans d’art américain, 600 illustrations, 210 x 260, Wienand Verläg, novembre 2018, 576 p.-, 39,90 euros (petit catalogue, anglais/allemand : 51 illustrations, 55 p.).

Wallraf-Richartz Museum & Fondation Corboud, Cologne :
wallraf.museum ; jusqu’ 24 mars 2019

 

 

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