Bernard van Orley, un artiste éclectique et humaniste à Bruxelles

Comme tant d’autres avant lui qui passent de la lumière à l’ombre et tardivement retrouvent la première, Bernard van Orley a été célèbre et prisé de son vivant, il laissa en héritage un œuvre importante et ample, connut une longue éclipse pour être redécouvert dans la seconde moitié du XXème siècle, quand un nouvel intérêt, largement justifié par la qualité de sa facture et l’originalité de son discours pictural lui est porté. Depuis ces dernières années, il regagne sa vraie dimension, celle d’un artiste majeur, novateur, puissant. Autant virtuose en peinture que dans le vitrail et la tapisserie, il s’impose comme le véritable trait d’union entre des artistes également fondateurs, Roger van der Weyden avant lui, Peter Bruegel après lui.

Né à Bruxelles dans le quartier de Saint-Géry autour de 1490, Bernard van Orley se forme auprès de son père Valentin. Par une gravure de Johannes Wierix, nous connaissons son visage. Dès ses débuts à la cour de Marguerite d’Autriche, il se fait remarquer « pour son industrie et expérience en son mestier », au point de rencontrer en 1520 et d’accueillir chez lui Albrecht Dürer. Les liens entre les deux artistes seront forts et van Orley adoptera un monogramme inspiré de celui du peintre allemand. A-t-il réellement voyagé en Italie, rien n’est moins sûr ! Ce qui l’est, c’est sa connaissance des œuvres de quelques-uns des maîtres italiens de l’époque, à commencer par Raphaël et Giovanni Bellini. La place de Bruxelles en Europe est alors telle que les savoirs y convergent, notamment grâce à la circulation des gravures qui élargissent les thèmes flamands par l’apport de ceux déjà en valeur dans la Péninsule.

Bernard van Orley manifeste une capacité assez confondante à rendre vivants et dynamiques les épisodes bibliques, comme le montre le Polyptyque de Job et de Lazare, exécuté en 1521, où les styles flamands et italiens se repèrent et se mêlent à la fois au niveau des éléments architecturaux, des attitudes des personnages, des paysages, de la tension qui traverse la composition. Cette aisance dans la manière de traiter son sujet et son érudition évidente  permettent à van Orley de lier sur un même panneau plusieurs histoires et ainsi de pratiquer la description narrative et d’en devenir un maître absolu, ainsi qu’on peut le voir sur le Retable des menuisiers et des tonneliers de Bruxelles, (huile sur chêne) où la monumentalité est sans cesse contrebalancée par les détails décoratifs d’une grande richesse, blasons, feuillages et entrelacs, toujours réalisés avec une minutie qui n’est pas sans évoquer celle de Jan van Eyck.

Au service de la cour de Bourgogne, le peintre ne pouvait manquer de s’affirmer comme portraitiste, que ce soit auprès des plus hauts personnages de la cour, entre autres Charles Quint, Marguerite d’Autriche et Marie de Bourgogne, mais aussi la Vierge, des hommes éminents (Portrait de Georges de Zelle, 1519, médecin humaniste proche de van Orley, représenté « attablé dans un cabinet lambrissé garni de livre aux reliures précieuses »), des anonymes comme ce jeune homme portant un pourpoint de damassé vert, tous objets d’une extrême minutie et d’une finesse de détails qui apparaissent dans le traitement des vêtements et des regards.

Peintre de renom, Bernard van Orley est aussi un dessinateur accompli et inventif. Il réalise à la plume et encre brune, lavis de couleurs, avec de délicats rehauts, des feuilles pour la série des Chasses de Charles Quint d’une qualité expressive inégalée, qui servent pour les longues tapisseries qui font de Bruxelles un des centres de production les plus notables. En laine, fil d’or, soie, la tenture présentée, d’une qualité exceptionnelle et d’une taille grandiose, relate la bataille de Pavie, en 1525. Ajoutons enfin le travail de conception de vitraux.

Avec ses 140 pièces, accompagnée par un catalogue rédigé par des spécialistes et splendidement illustré, cette exposition qui est la première jamais montée autour du peintre bruxellois, révèle l’immense l’artiste qu’a été Bernard van Orley de son temps et la nécessité impérieuse qu’il y avait à lui consacrer maintenant, en cette année qui marque le 450ème anniversaire de la mort de Bruegel, cette superbe rétrospective. En parallèle à cette exposition, le Palais des Beaux-Arts présente aussi une exceptionnelle exposition de gravures et d’estampes mettant en valeur la profusion et l’étendue de ces images imprimées qui ont irrigué la création européenne au long du XVIème siècle, aussi bien à travers le paysage que la satire, les guerres que la religion. Une visite que le promeneur intéressé peut utilement compléter avec celle du Palais du Coudenberg, résidence princière et en poursuivre en suivant son itinéraire jusqu’au Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, où s’est ouvert le « Printemps hollandais ». Une exposition qui réunit des dessins du XVIIIème siècle et les portraits de famille exécutés par Frans Hals. Bruxelles est à portée de train, si on peut dire, avec les nombreux Thalys qui chaque jour relient Paris à Bruxelles. Il faudrait ne pas manquer l’occasion de voir toutes ces œuvres remarquables et rares.

 

Dominique Vergnon

 

Sous la direction de Véronique Bücken et Ingrid De Meûter, Bernard van Orley, 340 x 220, nombreuses illustrations, Mardaga-Bozar Books, février 2019, 320 p.-, 49,90 euros

Exposition au Palais des beaux-arts de Bruxelles, jusqu'au 26 mai 2019
www.fine-arts-museum.be

 

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