Les plans-reliefs, de la stratégie à la contemplation

En voyant ces vastes pièces spectaculaires exposées - ne faudrait-il pas plutôt écrire étalées - comme des cartes géographiques autour desquelles on imagine des officiers pointant des sites à protéger ou à abattre à coups de canon, sous une lumière douce qui en révèle chaque détail, en apprenant pourquoi elles ont été conçues, comment elles ont été fabriquées, en suivant dans le temps ce qu’il faut bien appeler leur extraordinaire épopée, on comprend que, plus que d’autres, ces œuvres à la fois pratiques et précieuses sont à la croisée de l’histoire, de l’architecture, de la politique, du prestige d’une nation et de sa défense, de la science des relevés et de la topographie, enfin d’un savoir-faire manuel exceptionnel.
Ce sont des maquettes de villes, sans doute, elles proviennent des commandes royales qui accompagnent les conquêtes au cours de plusieurs siècles, certes, mais bien davantage, elles sont la démonstration d’un art où tout doit être juste, impeccable, vrai afin d’être utile.

Pas d’invention ici, qui pourrait enjoliver un site. Ces répliques des villes sont parfaites parce qu’elles sont leur réalité même, à la cheminée sinon au pavé près. Des cités complètes, façonnées par le temps, leur passé, leurs activités, des cités authentiques, reproduites seulement en plus petit. La minutie des artisans est telle qu’on ne voit que la réalité urbaine de Calais, Lille, Avesnes, Audenarde, Tournai, Gravelines, Ath et les autres. Pas de personnages, que le bâti. Au total, 14 villes sont présentées. Devant ces vastes plans où se distinguent fortifications, palais, églises, maisons, ponts, routes, champs, arbres, cultures, collines, cours d’eau, rades, le regard s’interroge, compare, déchiffre, admire. On a là la preuve des connaissances accumulées par les ingénieurs militaires qui font intervenir  les notions de saison et d’élévation autant que de balistique et de planimétrie. On est devant une collection unique, un patrimoine sans équivalent constitué à partir de 1668 pour Louis XIV, une conjonction de prouesses techniques véritablement stupéfiantes auxquelles les restaurations récentes, menées par une équipe experte, n’ont fait que restituer la splendeur ancienne. Ces experts vont sur les pas des ébénistes et des décorateurs d’autrefois, le plus souvent anonymes.
Parmi eux, un nom se distinguait, celui de Nicolas de Nézot.

 

Seul avaient accès à ces trésors le roi, avec son proche état-major, en tête le ministre de la guerre Louvois et sûrement Vauban, un homme accompli si l’on peut dire, car il était ingénieur, architecte, urbaniste, hydraulicien et même essayiste, savant dans le domaine de la poliorcétique, qui est l’art de savoir assiéger les villes. A sa volonté de doter la France de son pré carré sont associées les remarquables citadelles qui ceinturent le territoire et dont beaucoup sont encore visibles.
Pour leur rappeler la grandeur et la puissance du royaume, les plans reliefs pouvaient être montrés aux souverains étrangers et leurs ambassadeurs. L’apparat était à la hauteur de cette France en réduction, comme en témoigne une miniature en émail et or de 1770, peinte par Louis-Nicolas Van Blarenbenghe sur une tabatière qui appartint au Duc de Choiseul. Napoléon, stratège hors pair, demanda à ce qu’on exécute les plans de Brest et Cherbourg. 

 

Construits sur des tables qui s’emboitaient, les plans-reliefs étaient transportés dans des caisses et voyageaient selon les demandes royales, de Versailles aux Tuileries, du Louvre à Saint Germain ou ailleurs encore. En 1940, pour être mis à l’abri, ils vont à Chambord. Sur les 260 construits, il en reste une centaine actuellement. De la Manche à la Provence, les côtes et les frontières de la France disposaient d’un réseau de places-fortes sans équivalent en Europe. Quatorze plans sont déposés au Palais des Beaux-Arts de Lille.
Cela équivaut à 400 m2. 

Grâce à l’ouverture sous l’atrium de la nouvelle salle, à la signalétique ultra moderne, l’accès à ces œuvres de bois, de papier aquarellé, de sable et de soie est désormais ouvert à tous. La gamme des couleurs est harmonieuse. Du rouge au brun, de l’ocre au vert sans oublier le bleu de l’eau et jusqu’aux vagues ourlées d’écume blanche, elle donne à cette houle de toits et de terrains une vie naturelle. Une saison commune à toutes, le printemps, et plus précisément, le mois de mars, du nom du dieu de la guerre. Une exposition monumentale et en même temps à échelle humaine. A portée de canon hier, à portée de l’affection que peut lui concéder légitimement le visiteur aujourd’hui. On les survole comme si on était à environ 400m d’altitude à bord d’un ballon, mieux qu’avec l’œil d’un drone ! On ne peut mieux dire, chaque objet est « redoutablement militaire, formidablement poétique ».

Dominique Vergnon

Florence Raymond et Dominique Tourte (sous la direction de), Le regard souverain, 240 x 280, nombreuses illustrations, éditions Invenit-Palais des Beaux-Arts Lille, mars 2019, 144 p., 16 euros
www.pba-lille.fr

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