Henry de Groux, le message d’un solitaire

Difficile à saisir et donc à classer, cet artiste qui semble devoir toujours rester en retrait par rapport à ses contemporains et concitoyens les plus illustres, notamment James Ensor et Fernand Khnopff. Sa peinture se rattache au symbolisme, elle a des accents surréalistes, elle demeure classique par maints côtés, ses sculptures feraient penser à Rodin ou Carpeaux, l’œuvre entier a un ton personnel, jugé « antimoderne ». Elle est dans le droit fil de sa vie, terrible ! En somme, vie et œuvre sont comme en porte-à-faux et pourtant elles ne manquent pas de courage, d’originalité, d’un souffle « wagnérien ».

Ce livre qui accompagne l’exposition du musée Félicien Rops de Namur consacré à Henry de Groux (1866-1830) lui redonne à une place que les œuvres réunies dans ses pages autant que celles exposées justifient. La palette est riche, acide ici et brûlante là, elle déconcerte, elle s’enflamme sans vraiment brûler, les thèmes sont surprenants, du Christ aux outrages exposé à Paris en 1892 au Fafner, ce dragon vert, la gueule crachant le feu et la peau cuirassée d’ocelles. Entre ces sujets extrêmes, d’autres qui ne le sont pas moins, orageux, dantesques, illustrant des sujets qui sous-entendent le déchainement de puissances incontrôlables, une humanité qui chemine au bord de l’abîme, des passions furieuses, la littérature et l’histoire comme « La Divine Comédie » ou la Grande Guerre. On dirait que ce diable de peintre boit à des sources aussi sulfureuses que mystiques, qu’il a le don d’assembler mythologie et modernité, qu’il est tantôt un sphinx triomphant tantôt un saltimbanque angoissé. Il croît à l’héroïsme dans la vie, sa mélancolie foncière lui coupe les ailes. Il regrette d’être né en Belgique, un pays « neutre et pleutre ». Léon Bloy, que Groux appelle dans une lettre d’octobre 1891 « Mon formidable et cher ami », écrit qu’« il est peintre celui-là, comme on est lion ou requin, tremblement de terre ou déluge ».
La sensation du gouffre, les mots de Véronique Carpiaux en introduction à cet ouvrage sonnent particulièrement juste.

 

Henri Degroux qui aimait entretenir le mystère est devenu vers 1890 Henry de Groux. Il décida cela « pour des raisons purement plastiques » !  
Le voile se lève sur les interrogations grâce aux pages de son Journal. L’homme s’y révèle, confie ses colères et ses espoirs à la plume. « Nul ne saura jamais le luxe, le faste inouï de bravoure qui est nécessaire à l’homme isolé qui veut lutter contre les autres hommes, avec l’unique ressource de son courage et de son génie, le seul moyen de ses facultés et de sa vaillance ! »

Inscrit à l’Ecole des Beaux-arts de Paris, il est membre du Groupe des XX, un cercle qui défend les avant-gardes fleurissant alors en Europe, mais qu’il quitte en 1890, pour avoir refusé d’exposer dans la salle où expose également Van Gogh. Henry de Groux parvient se faire connaître à plusieurs reprises lors de Salons ou dans des galeries, mais la notoriété n’est pas au rendez-vous. Il voyage en Italie, dans le sud de la France, toujours en recherche d’un absolu incertain, tel un bretteur tourmenté, moralisant, sarcastique. « Le joli est le plus exact contraire du beau en art. J’ai positivement la haine du joli et je vois bien que, sous peine de vie ou de mort, je vais être condamné à en faire... Ce que j’apprécie dans une œuvre est précisément ce qui ne sera jamais estimé ». Les textes qui concernent « Feliciano Rops » et Baudelaire contribuent à donner du peintre un éclairage encore plus incroyable.

 

S’estimant un artiste incompris, inspiré au demeurant par de vrais thèmes esthétiques, vivant comme pris dans une épopée intérieure, égaré dans son temps, Henry de Groux mérite l’attention. Son étrangeté finit par le rendre attachant et intéressants. « J’en suis arrivé à faire à peu près ce que je veux : j’ai un art à moi, qui ne doit que de moins en moins à personne. J’ai un métier, une composition, une technique et une poétique à moi et je fais à mon gré, quand il me plaît, une scène religieuse, une bataille, une orgie, une allégorie ou un portrait, soit en sculpture ou en peinture ».

 

 

 

Dominique Vergnon

 

Véronique Carpiaux (sous la direction de), Henry de Groux, maître de la démesure, In Fine éditions d’art, 240 x 280, 176 p.-, 120 illustrations,  32 euros

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