Artistes roumains en France, un siècle d’amitié

S’il est un nom d’artiste bien connu en France, c’est celui de Constantin Brancusi, sculpteur prenant possession d’un espace que ses œuvres n’investissent jamais sans respect mais avec hardiesse. Douce et asymétrique, privée de cou, la tête couchée de La Muse endormie (1910) en témoigne. En revanche, les peintres roumains dont on citerait les noms sont rares. Peut-être celui de Theodor Pallady, fervent adepte du Louvre où il copie les maîtres, lié à Albert Marquet, surtout très proche de Matisse, l’un et l’autre ayant fréquenté l’atelier de Gustave Moreau à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. On sait que Matisse exécuta en 1940 un de ses chefs d’œuvre auquel il travailla plusieurs mois, La Blouse roumaine, un sujet qu’il avait semble-t-il en tête depuis plusieurs années auparavant et qui est mentionné dans leur correspondance.    

En dehors de cela, il est vrai que nos connaissances sont limitées. C’est oublier que jusqu’à la veille de la Seconde Guerre, de très nombreux Roumains sont venus en France non seulement pour se former à Paris, aux Beaux-arts ou à l’académie Julian, mais aussi pour intégrer les cercles gravitant autour soit de Barbizon, soit des localités bretonnes comme le firent Elena Popea ou Eustatie Stoenescu, soit des villes du Midi comme Iosif Iser, « coloriste savoureux et abondant ».
Pallady visitera aussi la Bretagne. Beaucoup participaient régulièrement aux Salons, ceux de la Société des artistes français ou ceux d’Automne et exposaient dans des galeries. Sans doute pour les Roumains, dans un pays où au long du XIXème siècle, on parle le français « du salon au boudoir », la France représente-t-elle alors une terre de liberté créatrice et donc une destination de choix en Europe.

 

L’histoire de cette relation privilégiée qui s’étire sur près d’un siècle débute « sous la coupole de verre du palais de l’Industrie, par une chaleur accablante », le 1er juillet 1867. Discours, concert, remise de prix, invités de marque, parmi lesquels on repère Cabanel, Gérôme, Meissonier, Rousseau, Knauss. Une photo d’Auguste-Rosalie Bison montre le pavillon des Principautés roumaines à l’intérieur de la galerie des Machines. Le trésor de Pietroasa, attribué aux Scythes, est l’attraction principale. Toute une série d’œuvres est exposée, les auteurs ont « la modestie des débuts difficiles ». Une toile de Nicolae Grigorescu représentant un garde-chasse figure dans cette exposition. Grigorescu, très brillant, aura l’occasion de croiser Corot, Millet, Daubigny, Courbet. Son tableau intitulé L’Automne à Fontainebleau, de 1864-1866, réalisé sur le motif, évoque admirablement les tonalités de la saison et le style paysagiste en vogue.
Rappelons que jusqu’alors, la création artistique roumaine, au demeurant très riche et expressive, était essentiellement liée à la religion. Les peintures murales de plusieurs églises de Moldavie sont inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Terre convoitée par les trois empires voisins, la Roumanie regarde donc vers la France dont la culture y compris les modes vestimentaires attire les élites qui s’inspirent des modèles européens pour leur enseignement artistique. Une première école des Beaux-arts est ouverte à Jassy, en Moldavie, peu après une autre à Bucarest, le 14 décembre 1864. Les artistes roumains poursuivent à Paris leur formation, établissant ainsi un axe avec leurs écoles locales. De même des rapports étroits se créent entre eux et leurs homologues, comme c’est le cas de George Demetrescu Mirea qui a pour professeur Henri Lehmann, un ancien élève d’Ingres et travaille avec Carolus-Duran et l’américain John Singer Sargent. Citons encore Menelas Simonidy, admis aux Beaux-arts en 1893, extrêmement doué,  aussi à l’aise pour composer une affiche pour Sarah Bernhardt qu’une toile à la fois poétique et symbolique, Les Parfums de l’hiver, appréciée à Bucarest. Eustatie Stoenescu, installé à Paris pendant sept ans, exposant à Genève, New-York et Zürich, s’impose comme portraitiste très couru par la bonne société.
 

Très documentées grâce aux patientes recherches de l'auteur, professeur et historien d'art d'origine roumaine, illustrées de nombreux tableaux inconnus qui constituent autant de découvertes, complétées par la liste des peintres roumains qui ont étudié en France au long de la période considérée, ces pages relatent ainsi ces décennies de riches échanges entre les deux pays, quand des artistes porteurs de leurs propres héritages sont venus les confronter aux nouvelles tendances esthétiques de l’époque.  

 

 

 

Dominique Vergnon

 

Gabriel Badea-Päun, Les peintres roumains en France (1834-1939), 170 illustrations, 220 x 180, In Fine éditions d’art, juin 2019, 200 p.-, 42 euros

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