Hiroshige nous guide sur la route du Tokaido

Issu d’une famille de samouraïs, orphelin assez jeune, se formant au dessin dans l’atelier d’Utagawa Toyohiro, un des maîtres de l’ukiyo-e, amoureux de son pays comme nul autre, observateur avisé de la vie quotidienne japonaise qu’il sait rendre avec verve et vérité, régnant sur une vingtaine d’élèves, sa notoriété ne cessera de grandir jusqu’à son dernier souffle. Personnages, paysages, animaux, fleurs, tout l’intéresse.
Quand il meurt du choléra, sa carrière compte des milliers et des milliers d’estampes dont beaucoup, diffusées assez vite en Europe, séduisent les plus fins connaisseurs. Les Cent vues d’Edo sont au rang de ses plus célèbres chefs d’œuvre. On sait combien Van Gogh l’appréciait. Il reprit notamment, dans une huile sur toile de 1887, le fameux pont sous la pluie.
La vie d’Hiroshige pourrait être le sujet d’un poème !

Un jour de 1832, Hiroshige est convié à accompagner le shogun dans une de ses tournées officielles. Plusieurs semaines d’une randonnée où l’imprévu côtoie le connu. L’artiste devient le chroniqueur naturel de cette expédition à travers monts et vallées, suivant baies et rivières.
On dirait que les menus faits de la vie sont fixés un à un, lors de la halte à l’auberge, du franchissement d’un col, de la promenade sous la lune ; que le voyage se déroule dans des paysages souvent grandioses et se poursuit au long de sentiers balisés par les cyprès ; que les pêcheurs sont curieux de voir ces pèlerins qui passent et dont le vent retourne les capuchons ; que le riz est repiqué au bon moment par des mains attentives; que les marchands sont sensibles aux charmes des femmes. Hiroshige (1797-1858) chaque jour prend des croquis pour ne rien oublier. Il veut tout capter, tout retenir, tout transmettre.
Grâce à son immense talent de conteur, il nous propose autant d’instants que d’étapes. Il raconte les saisons, il endure la pluie, la brume et la neige pour que cette narration vécue soit aussi vraie que possible. Il allie les couleurs pour donner de la profondeur aux décors, il manie avec dextérité ce bleu de Berlin, dit aussi bleu de Prusse, afin que le regard de l’amateur puisse lui aussi percevoir la beauté des sites, rêver devant ces merveilleuses échappées jusqu’à l’horizon et participer à ces scènes populaires, équivalentes aux scènes de genre de chez nous.

 


Il nous suffit de détailler une à une les cinquante-trois stations pour ressentir les charmes et les embûches de cette odyssée. Pas de meilleur guide pour s’engager sur le Tokaido que notre dessinateur. Rendez-vous au petit matin pour le départ sur le pont de Nihonbashi. Le Tokaido, littéralement la route de la mer de l’est, commence. C’est une route essentielle alors pour le Japon, car elle relie Edo qui deviendra Tokyo à Kyoto, lieu où réside l’empereur.
Deux semaines d’aventures, cinq cent kilomètres environ d’un itinéraire politique et économique, dont Hiroshige fait un périple artistique. Il le lègue à titre de mémoire, comme s’il pressentait que « dans l’espace de ces images dynamiques », il fallait retenir et immortaliser « un monde » qui va « bientôt se raréfier, s’asphyxier puis sombrer » avec l’arrivée de l’ère de Meiji, c’est-à-dire de la modernité et de la disparition de l’ancien Japon. La dernière étape sera à nouveau un pont, celui de Sanjo.

Précieux comme un haïku, ce petit ouvrage reprend les 55 vues que le Musée national des Arts asiatiques – Guimet présente à la suite de la décision du collectionneur Jerzy Leskowicz de lui confier la totalité de sa collection de premier tirage.
Une rare occasion de les voir et d’en savourer la qualité.

De même que l’intérêt doit se porter sur les photos présentées dans cette exposition et sur cet extraordinaire album de 41 mètres de long, assemblant près de 200 estampes, œuvre collective de plus de quinze artistes que le médecin de marine et poète Victor Segalen (1878-1919) posséda avant de le remettre en 1909 à l’ami de Gauguin, Daniel de Monfreid. Cristina Cramerotti révèle l’histoire pour le moins fabuleuse de cet album. Victor Segalen, auteur du roman Les Immémoriaux, a écrit aussi un recueil de poèmes intitulés « Stèles ».
Le plus étonnant est que figure dans ce livre un court texte appelé « Conseils au bon voyageur ». Ville, route, montagne, silence, les mots à leur tour se changent en vues aimables et d’un coup de strophes, le lecteur pourrait se croire revenu au temps des grandes pérégrinations. Il rejoint l’artiste japonais dans une même ferveur de la découverte.

Dominique Vergnon

 

Sophie Makariou, Cristina Cramerotti, Sur la route du Tokaido - Chefs-d’œuvre de la collection Leskowicz, 65 illustrations, 140 x 180, Musée des Arts asiatiques – Guimet (MNAAG), juin 2019, 96 p.-, 13,50 euros

www.guimet.fr jusqu’au 23 septembre 2019

 

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