Picasso & les livres au MUba de Tourcoing

De tout temps, les peintres furent sollicités par les éditeurs. En accompagnement d’un texte. Mots et peinture, musique et lumière, la force du sens et le choc du dessin. Pour tenter d’atteindre un palier spirituel le plus élevé possible, les artistes ont collaboré. Souvent ce furent des poètes qui entraînèrent leurs amis peintres. Max Jacob et Picasso, par exemple. Ou Pierre Reverdy pour le fameux Chant des morts. Parfois ce fut l’audace d’un éditeur qui fut à l’origine d’un chef-d’œuvre, le jeune Skira qui insista pour que Picasso illustre son premier livre publié. Ce fut Ovide qui l’accompagna…
Si bien qu’au fil des années, Picasso aussi se retrouva avec une ligne de plus à son CV. Peinture, sculpture, poterie, gravure. Et donc illustration. Est présenté jusqu’au 13 janvier 2020 au MUba de Tourcoing tout ce qui se rapproche de l’écrit : les affiches, les dessins d’auteurs, les livres peints, les livres illustrés. Avec quatre conférence-clés pour pénétrer toutes les arcanes de l’œuvre participative qui s’est liée avec la littérature : Le cornet à dé, Max Jacob-Picasso (17 novembre) ; Le chant des morts, Reverdy-Picasso (7 décembre) ; Picasso et le livre illustré (21 décembre) et La colombe de la paix (11 janvier).

Certains peintres n’aiment pas ce terme d’illustrationKijno, à qui l’on doit la rosace de la cathédrale de Lille, rentrait dans des colères noires à sa simple évocation, malgré ses nombreuses participations à l’œuvre littéraire de ses amis poètes ; il préférait dire qu’il faisait l’amour avec la poésie – car dans l’imaginaire collectif, illustrer est péjoratif, un genre mineur ; encore une erreur fondamentale véhiculée par la doxa. Car l’intervention du peintre est très souvent un acte fondamental dans l’objet-livre qui devient plus qu’un simple livre. L’ornementation illumine le texte. D’ailleurs Picasso aussi, avec humour, disait qu’il n’avait jamais rien illustré… Car si le peintre intervient sur, dans, le texte – comme avec Reverdy – il n’abandonne en rien sa liberté créative. Au contraire. L’intervention d’un peintre dans un texte modifie fondamentalement l’œuvre qui devient une pièce à quatre mains. Le lecteur ne perçoit plus la force du texte de la même manière. L’artiste ne fait pas briller le texte mais permet une approche différente. Quitte à perdre le lecteur ; mais c’est là tout l’intérêt de l’art. Ouvrir d’autres possibles. Ne jamais cadenasser aucune porte, aucune fenêtre. Afin que la lumière s’invite de n’importe où…
 



Dès son enfance à Barcelone, Picasso s’est entouré de poètes. Ainsi il n’est pas incongru de voir qu’il illustra en 1913 Alcools avec un portrait cubiste d’Apollinaire. Il fera ensuite un fusain en 1948, de profil… La première rencontre sera celle de Max Jacob, chez Ambroise Vollard, en 1901. Puis Apollinaire en 1905. Viendront ensuite André Salmon, Paul Fort, Pierre Reverdy…
C’est avec lui qu’il va pousser au plus loin son approche de l’abstrait. L’exploration des signes linguistiques. 1948, parution du Chant des morts chez Tériade. Livre-dialogue où se déploient des aquarelles rouges dans les vers manuscrits. Quarante-trois poèmes qui sont enluminés. Chaque intervention prend la mesure de la page. S’inscrit sur le même plan que le poème, joue avec l’équilibre des blocs de mots… l’unité entre poète et peintre se joue entre les signes, à l’échelle du livre. C’est un acte unique dans l’œuvre de Picasso.

Passion incontournable chez Picasso, la corrida, est à voir dans une grande table-vitrine qui présente plusieurs planches de l’extraordinaire livre La Tauromaquia, publié en 1959. Pointe sèche pour la couverture et vingt-huit aquatintes au sucre pour accompagner le texte de José Delgado, écrit en 1796. Par la grâce de quelques touches de pinceau, Picasso suggère ombre et lumière. Ses animaux ondulent sous des formes fabuleuses mais si vivantes. On devine l’élan, les ruées fougueuses du taureau, la férocité toute noble de l’animal traqué. On lit les mouvements dansants des bandilleros. Les passes de muleta. Picasso a délibérément choisi un langage esthétique qui lui permet de saisir le mouvement et la fugacité de ce qui se déroule dans l’arène. Il traduit la confrontation de l’ombre et de la lumière. Il sublime la tension des officiants et des aficionados devant le rituel tauromachique.

Annabelle Hautecontre

Yannick Courbès (sous la direction de), Picasso illustrateur, 235 x 305, Snoeck, octobre 2019, 145 p.-, 25 €

 

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