Raphaël, le geste d’un maître

Quand Raphaël meurt, le 6 avril 1520, il fut regretté avec une universelle douleur par le monde entier…un sentiment diffus faisant considérer la mort de l’artiste comme celle d’un dieu. Personne d’autre que lui n’aurait pu avoir pour surnom Il divino !
Toute sa vie, il n’a cherché à atteindre qu’une chose, la beauté, la venustas, avec tout ce que ce mot aimante autour de lui, de grâce, pureté, harmonie, spiritualité et qui n’exclue en rien la force et le caractère. Car s’il y a un lyrisme qui peut être affecté ou exagéré, il en est un autre qui repose sur l’équilibre et l’intensité et en font la grandeur. Derrière chacune de ses Madones, critiquées bien à tort par certains pour ce sourire irréel et apprêté, il y a un travail inlassable, des dessins par dizaines, un souci d’aboutissement que cache l’aisance visible du trait.
Chez lui, le dessin est porté au sommet, comme le rappelle Mathieu Deldicque, conservateur du patrimoine, responsable de l’exposition qu’accompagne ce petit ouvrage d’une qualité à l’égal de celle-ci. Une présentation qui marque les 500 ans de la mort du grand peintre de la Renaissance.

 

La collection de tableaux anciens constituée par Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897), cinquième fils de la reine Marie-Amélie et du roi Louis-Philippe, est la plus importante en France après celle du Louvre. Il avait hérité du domaine de Chantilly à l’âge de… 8 ans. Les tableaux sont  présentés selon sa volonté, comme au XIXème siècle. Parmi eux, une œuvre inestimable, parfaite dans ses couleurs comme dans sa composition, La Madone de Lorette, huile sur bois de 1509-1510, donnée comme une copie jusqu’en 1979 quand à la suite de sa restauration, apparaît sur le tableau le numéro 133, celui de l’original dans l’inventaire de la collection Borghèse. Un trésor de plus pour couronner l’ensemble.

 

Autour de ce chef-d’œuvre et des deux autres œuvres du maître conservées à Chantilly, La Madone de la Maison d’Orléans, antérieure à l’autre de deux ou trois ans, alors que Raphaël est à Florence, et le petit panneau Les Trois Grâces, exécuté en 1503-1504, sont présentés de nombreux dessins qui montrent à quel point d’achèvement absolu parvient la main de l’artiste au cours des trois grandes périodes de son existence, en Ombrie, à Florence, à Rome. Proche du Pérugin dont il s’inspire à ses débuts mais sans être un de ses élèves en tant que tel, recevant également l’influence de Pinturicchio, Raphaël prouve tout jeune encore sa capacité à créer son propre style et à devenir indépendant.
S’il assimile les leçons des grands maîtres comme Fra Bartolomeo et Léonard de Vinci, il les dépasse vite et surtout les renouvelle, inventant sans cesse à partir d’idées jetées rapidement sur la feuille. L’idée, l’inventio, ce mot semble gouverner un travail qui trouvera dans les contours et les ombres sa réalité transfigurée ! 

 

C’est tout ce talent incomparable que les dessins révèlent, soulignant la maîtrise technique de la main obéissant à la pensée, que ce soit avec la pointe de métal, la plume et l’encre, la sanguine, tantôt sur un papier préparé rose (Cinq études d’enfants nus), tantôt sur un papier préparé beige (Tête d’une jeune femme, de trois quarts vers la gauche, la tête inclinée), les uns avec des nuances de lavis, les autres avec des rehauts de blanc maniés délicatement, juste pour donner vie, mouvement, relief aux personnages, comme ceux de l’étude pour La Dispute du Saint-Sacrement où l’on voit vingt clercs et ecclésiastiques discutant d’un sujet théologique difficile. Ainsi s’accroche la lumière et passe la chaleur de la vie, mais aussi la tendresse (La Madone d’humilité), le pathétique, comme dans cette tête d’homme à rapprocher de celle d’un des porteurs du Christ dans le Retable Baglioni.

 

Dans le sillage de Raphaël, sont exposées les œuvres de ses élèves, ses émules, ses disciples, comme Giulio Romano dont on admire plusieurs feuilles ou Perino del Vaga, auteur d’un spectaculaire projet de décor pour la villa de Fassolo, à l’ouest de Gênes, édifiée pour le puissant amiral Andrea Doria. Mais, en dépit d’une qualité indéniable, rien de la virtuosité fascinante de Raphaël qui à la fois raconte et émeut, de sa sprezzatura, cette élégante désinvolture qui produit l’art universel sans effort apparent.
C’est « la grâce visible, c’est une réduction au minimum : il suffit d’une seule ligne, mais non stentata, sans peine ni rigueur, il suffit d’un seul coup de pinceau, mais celui qui révèle comment la main est allée, toute seule, en toute liberté, au bout de sa mission.

 

 

 

 

Dominique Vergnon

 

Mathieu Deldicque, Raphaël à Chantilly, le maître et ses élèves, 210 x 210, 60 illustrations, éditions Faton, mars 2020, 96 p.-, 19,50 €

www.domainedechantilly.com

 

 

 

 

 

 

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