François Depeaux, le collectionneur insatiable et passionné

Plus de soixante toiles de Sisley, une bonne vingtaine de Monet, près de quinze Guillaumin, une dizaine d’œuvres de Pissarro, et des Renoir, quantités d’Albert Lebourg, et aussi Degas, Toulouse-Lautrec, Caillebotte, Dufy, tous artistes célèbres, mais également Zandomeneghi, Gustave Loiseau, Maxime Maufra, Joseph Delattre, Frits Thaulow, qui pour être peu connus du grand public, n’en sont pas moins des peintres de valeur, ont eu une reconnaissance certaine et bénéficièrent en leur temps de cette même renommée si fluctuante, jamais définitive.

En d’autres termes, avec ces noms, voilà une collection vouée au mouvement qui à l’époque de son propriétaire emporte tout par son élan novateur et sa lumière venue en direct de la nature, l’impressionnisme, une vague reléguant romantisme, réalisme, académisme et le reste dans l’ombre. Une collection qui réunit plus de cent noms d’artistes ayant appartenu de près ou de loin à ce mouvement !

Qui est le possesseur de ces tableaux, comment fait-il pour les acquérir, quelle fortune faut-il avoir pour ainsi se les offrir, quel rôle joue-t-il en tant que mécène, ami des peintres, acteur de la vie culturelle et bienfaiteur de la ville de Rouen? Questions auxquelles répond ce magnifique ouvrage accompagnant l’exposition qui, intégrant le cadre du festival « Normandie Impressionniste 2020 », s’est récemment ouverte au Musée des Beaux-Arts de Rouen. A cette occasion, sont présentées parmi les plus emblématiques de ses tableaux.

François Depeaux (1853-1920) est un de ces hommes attachés à leur province qui aiment à la faire prospérer et rayonner. Il fait ses études à Rouen, il est entreprenant, il est habile négociant, il sait où et quand il faut investir, il s’est spécialisé dans l’anthracite, une houille meilleure que le charbon, qui donne moins de fumée et moins d’odeur, est transportée à bord de ses propres navires depuis le Pays de Galles où il achète même une mine pour être débarquée sur les quais de la Seine.
Pour gagner du temps et rentabiliser ses projets, il invente des machines. Il n’hésite pas à s’en prendre au gouvernement pour sa politique charbonnière, qu’il juge mauvaise. Il crée les premiers bains-douches à Rouen en 1897 et un port pour les yachts. Il s’active pour que Flaubert ait une statue. En définitive, il gère ses affaires comme il tient la barre de son yacht, La Dame Blanche, fermement, habilement, voire âprement.

 

Certes il n’est pas le seul collectionneur des œuvres des impressionnistes, il n’est pas un pionnier à cet égard, mais ce notable a un goût éclectique bien qu’il apprécie certains motifs plus que d’autres, comme la ville, la campagne, l’activité portuaire. Il aime rencontrer les artistes. Le qualificatif est clair, il revient souvent, Depeaux est un acheteur compulsif. Il est proche de Léon Monet, frère de Claude, qui a fondé une société de produits chimiques à Rouen. Il achète pour une grande part ses tableaux auprès du fameux marchand Paul Durand-Ruel.  Leurs relations sont parfois tendues pour des raisons financières. Relations houleuses également avec sa femme. Le couple se sépare. La collection sera peu à peu dispersée, vendue aux enchères, circulant partout au point qu’une douzaine de pays maintenant possèdent des œuvres venues de la collection initiale. La donation que François Depeaux a faite au musée de Rouen en 1909 marque à la fois son apothéose et sa chute

Retenus parmi ces nombreux maîtres de la couleur et de l’instant qui formèrent l’école de Rouen défendue par le critique Arsène Alexandre, tous formés à la tradition pittoresque très présente dans la culture rouennaise… plutôt portés vers l’observation de leur milieu naturel, du climat et des pratiques locales, identifiant de ce fait un régionalisme qui devint un patrimoine en soi, il y en a quatre  qui sont chers à François Depeaux : Albert Lebourg, Charles Frechon, Joseph Delattre et Robert Pinchon.
Leurs œuvres montrent combien ces peintres normands entrèrent dans ce courant néo-impressionniste et impressionniste et le promurent avec talent. François Depeaux les fera exposer et les soutiendra avec cet esprit d’initiative et d’enthousiasme, pour reprendre deux  mots d’Anne Distel. Des mots qui caractérisent et gouvernent l’existence de cet armateur amateur.

 

Dominique Vergnon

 

Sylvain Amic & Joanne Snrech, François Depeaux  Collectionneur des impressionnistes ; l’homme aux 600 tableaux,  400 illustrations, 245 x 290, in fine éditions d’art, mars 2020, 336 p.-, 39 €

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