Carmontelle ou l’esprit du XVIIIe

Que de talents réunis chez ce fils de maître-cordonnier parisien ! Ingénieur du roi, il connaît la géométrie et les mathématiques et obtient le grade d’officier. Il accède aux cercles aristocratiques et côtoie les savants du moment comme Buffon, La Condamine, Franklin, d’Alembert. Il compose de fines comédies qui divertissent les princes et il monte pour eux des spectacles insolites à l’époque. Il rédige d’astucieuses et fameuses sentences que l’on cite sans penser qu’il en est l’auteur.
Le voilà qui crée des transparents où la lumière donne vie aux peintures invitant à entrer dans de délicats paysages à la manière des lanternes magiques qui annoncent le cinéma. Il exécute enfin une incroyable série de portraits, éloquents dans leur simplicité et résolus dans leur légèreté au point que chacun se reconnaît et reconnaît les autres.
Son aptitude à rendre la vérité d’un caractère est tout de même grande puisque cet artiste qui n’est pas qu’un amuseur permet à leurs contemporains d’identifier six gentilshommes, exécutés seulement de dos, en habit rouge, tricorne et bas noir, à l’évidence prouesse impossible pour un non-initié.

 

Carmontelle met ses multiples capacités au service des Orléans. Aux tables de la cour, s’il est invité en cure dent, il observe, note, retient. De ses innombrables portraits, presque toujours de profil, ce qui est apparemment plus facile mais n’en reste pas moins exigeant si l’on veut saisir la réalité d’un visage et la vérité d’une psychologie, il fait deux versions. Il manie avec dextérité le fusain, l’aquarelle, la sanguine, la pierre noire, la gouache, les rehauts, au point d’insuffler à ces silhouettes plus qu’une épaisseur et des couleurs, mais l’air et le maintien, une existence en soi, une identité propre.
On recense plus de six cents portraits. Tantôt dans le charme des conversations et des liens familiaux, tantôt dans l’action du métier, avec humour et goût, par les toilettes telle celle stupéfiante de Madame de Moracin et les uniformes tel celui de veneur de Guillaume Marin du Rouïl de Boismassot, ces esquisses documentent un ancien Régime bientôt voué à disparaître dans la tourmente révolutionnaire. Nous sommes dans l’instant, quand l’œil capte l’essentiel et le consigne sur le papier. Ainsi par exemple de cette feuille où l’on voit la marquise d’Ecquevilly tendant les bras à sa petite-fille tenue en lisière par une bonne sur un tabouret bleu ou de Monsieur de Marcenay, topographe militaire, prenant des niveaux.

 

Si le trio des Mozart jouant est célèbre, Carmontelle a également représenté Jean Philippe Rameau qui triomphera en 1735 avec Les Indes galantes. Yeux, sourires, gestes, les détails parlent, les costumes sont raffinés, les décors sont en arrière-plan comme d’autres tableaux devant lesquels les personnages se tiennent et agissent. Peut-être pour la critique en place ces portraits ne manquaient-ils pas de monotonie voire d’insuffisance ?
Les grands maîtres de l’époque habituaient le regard à une qualité des expressions et une excellence des formes difficiles à égaler. Carmontelle certes en est loin. Mais cette galerie qui se déploie au Cabinet d’arts graphiques du musée Condé séduit maintenant par sa grâce, la fraîcheur des tons, une joie d’être, une certaine insouciance, autant de marques du siècle. L’ouvrage qui accompagne cette exposition abordant une figure oubliée offre lui-même un plaisir de lecture en accord avec son parcours.

Sans doute est-il trop sévère Grimm quand il écrit que cet homme très apprécié par tous fournit des pièces comme des petits pâtés. Carmontelle avait pour lui une facilité surprenante.  Ses comédies à proverbes comme ses dessins n’avaient d’autres prétentions que de refléter l’esprit que chacun s’efforçait d’éclairer toujours davantage. Pour les Goncourt, Louis Carrogis (1717-1806), devenu Carmontelle suite à son choix de se fabriquer un nom personnel qui en allie plusieurs, est l’homme qui aura fait poser devant lui toute la société de son temps !

 

Dominique Vergnon

Nicole Garnier-Pelle, Carmontelle ou le temps de la douceur de vivre, 76 illustrations, 210 x 210, éditions Faton, coll. Les Carnets de Chantilly, septembre 2020, 96 p.-, 19,50 €

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