Ricardo Mosner et le Silence

Ricardo Mosner né en 1948 à Buenos Aires vit et travaille à Paris. Entre 1970 et 1980, il a créé et joué une vingtaine de spectacles picturaux avec sa troupe, le theâtr' en poudre.
Peintre, sculpteur et graveur, il a participé à de nombreuses expositions, a conçu des pochettes de disques, de couvertures de livres et d'affiches (musique, cinéma, théâtre) et a créé aussi de nombreux livres d'artistes et de bibliophilie.

Toutes ses oeuvres trébuchent de désir silencieux face à ce qui semble immobile. De seuil en seuil, il en fait surgir la proximité du lointain. Cela ne peut pas se calculer, se différer, prendre le masque d'une stratégie. Bref, chaque pièce et quel qu’en soit le genre ne se dresse que pour créer un mur contre le silence sans fond. Mosner creuse ainsi le visqueux et l'opaque afin que le corps ne s’enroule pas sur lui-même mais déborde d’une sorte d’extase. Il y va du crépuscule et de l’aurore. La peinture, le dessin, la sculpture font ainsi entendre un murmure qui gonfle parfois d’une suite de corps dégorgés par la mer et ses secrets enfouis.

Nous sommes soudain arrêtés devant le mystère de l’amour même au milieu des blessures afin qu’il ne soit plus ce pays rejeté des orages où le sable et le sel rudoient la peur que l’on se donne - une peur trop éloignée de sa cause pour la comprendre. Dans l'à-peine perceptible quelque chose a bougé, bouge et bougera encore. En ce sens on peut parler de fond à la fois de malheur mais aussi de bonheur qui justifie chaque oeuvre et sa nécessité. Poussé à ce point l’art correspond à la définition que Beckett en donne : "il y a une zone dans l'esprit humain qui ne peut être atteint que par lui ».

 

Et c’est là le paradoxe d’une oeuvre qui perfore les poches d'ombres, ou plutôt leur donne une profondeur plus grande afin que soit plus lourde encore la double question qu'introduit le silence lui-même : le silence au fond de qui? Au fond de quoi? L’image devient alors ce qui se voit dans un rêve, le rêve le plus profond même si à chaque instant cette image suggère la précarité de la vie et de l'être, sa fragilité. Et la force d’une telle recherche tient à ce qu’elle ne cesse de travailler contre la perte en créant une charge étrange de courant émotif que chaque recherche donne à voir, à éprouver.

Mosner montre, simplement. Il montre ce qu’il en est de nous et que nous ignorons. Au sein même de la blessure il n’inscrit pas une coupure mais le franchissement. Il renverse la problématique habituelle du seuil de l’image, là où souvent on accomplit non un pas au-delà mais en deçà: il en appelle à l’abandon, au dépouillement extrême. Et c’est peut-être parce qu’il est originaire où la notion de baroque garde son sens qu’il ose aller jusque là. Mais il fait plus: il permet à l’inconscient qui habituellement ne connaît pas la traversée des frontières d’être mis en connexion avec ce qui le dérange. Nous tombons de notre décor dans un espace nu.

En ce passage, ce transfert il y a un pas de deux qui nous pousse vers quelque chose d’autre. Il y a aussi un tremblement. Il nous désaxe de notre assise, de notre sécurité. Et face à l’enfermement l’œuvre plastique entame une traversée. Ce qui revient donc à exister. Dans ce don nous sommes ainsi à nous-mêmes. Nous passons où cela semblait au-dessus de nos forces et de notre peur, au-delà même de la mort de ceux et celles, à l’image du "porteur de bruyères"  que nous portons en nous. C’est pourquoi, dans une telle œuvre, la frontière n’existe plus entre le dehors et de dedans, le dedans en sa résistance ronge mais aussi fait que reculer le dehors vers la ligne d’un horizon par définition inatteignable là où dans l’espace silencieux des pulsions règlent les comptes du sujet à son désir et à l’autre.

Tournant toujours autour d’une rencontre décalée, différée, l’image, les images de l’artiste nous reconduisent, à travers les mythes argentins ou autres, vers les défilés de l’inconscient. L’art provoque ainsi coupure et rétention mais aussi l’explosion et l’élargissement. Tout nous retient, tout nous échappe : à notre tour nous sommes seuls dans une inavouable communauté dont nous devenons partie prenante.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Ricardo Mosner, Galerie Bertrand Hassoun, Besançon

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