Paysages et dialogues entre deux mondes

Etre au plus près de la nature, généreuse tout autant que dangereuse, en reproduire soigneusement sur la toile les harmonies, en même temps les humaniser puis les dépasser pour interpréter autrement sa présence tutélaire, aboutir à une émotion qui la spiritualise, traduire la modernité qui arrive, entre le Nouveau Monde et l’ancien s’établit une proximité avec au cœur du dialogue, un maître et un lieu, Monet et Giverny. Voilà le parcours de ces pages et celui que proposent les quelques 90 tableaux, photos et gravures réunis pour l’occasion.
En une cinquantaine d’années, soit de 1860 au moment où va se déclencher la Guerre de Sécession, jusqu’à 1910, alors que bientôt commencera la Grande Guerre, les peintures des artistes américains sélectionnées dans la collection de la Terra Foundation for American Art, face à l’inépuisable et puissante source d’inspiration qu’est la nature, vont connaître une évolution que décrit Katherine Bourguignon dans cet ouvrage accompagnant l’exposition qui vient de s’ouvrir au musée des impressionnismes Giverny,

Ils sont les héritiers de la première génération des peintres de l’Hudson River School, fondée autour de 1820 mais appelée plus tard ainsi, par Thomas Cole et Asher B. Durand. Ce dernier conseille aux élèves de peindre en plein air, qui sera donc le meilleur atelier, de tout noter des arbres, de l’eau et des nuages, le tableau étant fini dans l’atelier.
Les toiles d’Alfred Thomson Bricher et de Martin Johnson Heade, parfaitement et classiquement composées, captant toutes les nuances du ciel et des champs et le détail des activités humaines, rendent compte de cet accès du réel, sans doute idéalisé à force de fidélité, mais étape dans une conquête de la liberté du regard et de la manière de travailler.

 

 

Conquête dans le même temps de nouveaux espaces, ceux de l’Ouest, que l’on explore désormais pour leur côté spectaculaire. A l’instar de leurs homologues européens du passé, cette avancée en terres nouvelles permet aux pionniers de la peinture et de la photographie de faire leur Grand Tour dans le Colorado, l’Utah, le Wyoming.
Des photographes comme Timothy O’Sullivan, John K. Hillers, George Barker procurent de la nature une vision à la fois juste et poétique, scientifique et esthétique, soulignant dans d’impressionnants clichés dont les tirages argentiques et les épreuves au citrate n’omettent rien des saisissants contrastes des lieux, les forces du Niagara, les aridités du Grand Canyon, les solitudes du lac Yellowstone. Les fragilités de ce qui sera plus tard appelé l’environnement déjà apparaissent manifestes aux yeux de ces éclaireurs de la défense des valeurs naturelles.    

Né dans le Massachusetts, étudiant à Paris où il s’inscrit dans l’atelier de Charles Gleyre, visiteur admiratif de Venise et de la Tunisie, fervent admirateur de l’art japonais, mort à Londres, James Abbott McNeill Whistler, fantasque, imprévisible, susceptible…qui anime souvent ses compositions comme des œuvres musicales où le rythme et la pause donnent une atmosphère vaporeuse à ses gravures, écrit Cyrille Sciama, est un des acteurs du tournant qui est pris à partir de 1870 vers une approche davantage esthétisante et qui annonce ces paysages de l’esprit.

 

Les précisions qui hier prévalaient chez les artistes, qu’elles soient atmosphériques et topographiques, cèdent dorénavant devant un goût marqué pour de plus subtiles notations, au moyen d’une touche plus libre et de contrastes atténués.
Il s’agit moins de rendre la réalité que de la reformuler à partir de la mémoire et des sentiments ressentis, afin de créer une ambiance plus poétique, plus personnelle, plus sobre, comme on le voit dans la palette réduite de William Merritt Chase (Scène portuaire, 1888), qui rencontre Whistler à Londres en 1885, ou chez Dennis Miller Bunker, déjà impressionniste, qui sera élève de Gérôme et séjournera en Bretagne et en Normandie.

Car beaucoup des peintres de cette seconde génération, voyageant en France, après les tonalités inspirées de celles de leurs confrères de Barbizon, choisissent la lumière, privilégient la liberté des notations et s’inscrivent dans la ligne de Monet qu’ils mettent au centre de leur manière. Un héritage qui à la fin du siècle s’adaptera à une identité plus américaine, comme si l’impressionnisme passant les distances atlantiques, tout en gardant ce contact essentiel avec l’extérieur, prenait maintenant pour thèmes la ville où les gens s’activent (Commonwealth Avenue, Boston, huile sur toile de Childe Hassan), et les premiers signes du progrès (George Bellows, Les Palisades, 1909).    

 

Dominique Vergnon

 

Katherine Bourguignon, L’Atelier de la nature, 1860-1910, Invitation à la Collection Terra, 183 illustrations, 220 x 257, co-édition musée des Impressionnismes Giverny/RMN, septembre 2020, 190 p.-, 29 euros

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