Découvrir l’art asilaire

Gouache, encre, fusain, aquarelle, collage, mine de plomb, autant de moyens au service d’une créativité sans limites de dessins, compositions, images, caricatures et autres figures. Comme sont sans limites les maux dont souffrent leurs auteurs. Les biographies en font foi, l’éventail est large et douloureux qui va de l’internement, la schizophrénie et l’agressivité à la dépression, la  tentative de suicide, la paranoïa et les troubles mentaux.
Les sept chapitres de ce livre inhabituel invitent le lecteur à entrer dans une étonnante exploration de l’inconscient, du regard naïf mais pertinent sur soi et les autres, du jugement décalé qui cible pourtant l’essentiel, de la sensibilité qui détourne la pensée et la retrouve autrement, de la plus sincère imagination et de la grivoiserie la plus débridée.

Des pages qui révèlent les multiples transcriptions et les nombreuses formes que peuvent pendre au plan artistique ces maladies. À chaque fois, le rire est là qui désamorce le drame, éloigne les fausses sentences et les interprétations trop rapides.
Il y a un côté art brut, non façonné et pourtant finement travaillé dans ces œuvres. À une époque de sa vie, Jean Dubuffet (1901–1985) s’intéressa avec raison à l’art des fous et des marginaux.

On connaît la théorie, remise en question par beaucoup, du psychiatre italien Cesare Lombroso, né à Vérone en 1835 et mort à Turin en 1909. Il estimait que le génie est proche parent de la folie. Il disait connaître, vus sans doute dans les asiles qu’il visitait, des fous qui étaient à leur manière de véritables écrivains, des peintres d’une rare émotivité et des philosophes d’une grande sagesse.
L’intéressant est de voir comment dans ces esprits et ces pensées, à travers la ligne, le mot et la couleur, leurs dérives devant le réel se construisent, se percutent, ce qui les frappent et ce qu’ils en retiennent. Les résultats sont surprenants. On adhère à ce que l’un des artistes présents dans le livre, André Petit, qui séjourna à Sainte-Anne autour de 1968, a inventé pour traduire son mal, le faire comprendre et peut-être s’en soulager, une Spirale obsessionnelle carrée dessinée pour emmerder les psychiatres, curieux labyrinthe vert à la gouache sur papier.
Pour sa part, Maurice Blin, né en 1893 et mort à près de quatre-vingt-dix ans, passa par l’hôpital la Pitié-Salpêtrière, critique assez férocement et non sans un plaisir évident la religion ou l’armée tandis qu’Eduard Paul Kunze, un boulanger saxon, jaloux jusqu’au meurtre possible, se complaît dans l’érotisme. Tous apportent en passant par leur culture propre, une vision originale de leur vécu.

Artistes français et allemands sont à égalité les acteurs de ce théâtre où la dérision et le non-sens s’allient pour donner aux spectateurs, supposés normaux, leur conception de la vie. Des intuitions qui provoquent et font réfléchir. Car derrière chacune de ces incroyables œuvres, il y a des vérités qui rappellent la maxime de La Rochefoucauld, Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit. Du reste, même dans les dictons populaires qui sont frappés du meilleur des bons sens, on découvre parfois de surprenants adages, déroutant, illogique en apparence, sûrement vérifié un jour, comme celui-ci qui est espagnol : L’amour sans une certaine folie ne vaut pas une sardine.
Pour nous convaincre que ces dessins ont beaucoup à nous apprendre, pensons que l’on entend dire : C’est un original, laissez-le faire, il en sait plus long que nous.

Intérêt supplémentaire, l’association des deux collections allemande et française, venues du Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne (MAHHSA) à Paris dont le fonds compte près de 72 000 œuvres et de la collection Prinzhorn de l’Hôpital universitaire de Heidelberg permet de comparer les sujets favoris, la manière de les aborder, les graphismes, les écrits en marge, le choix des couleurs.

Même aliéné, l’esprit garde en quelque sorte un part saine, qui tout en brouillant les perspectives lui donne du recul. L’art sert souvent de thérapie. Des dessins à voir, riches de détails et d’idées surgies du fonds de l’inconnu qui vit en chacun, d’autant plus inattendus que rarement vus. Ne pas oublier que certaines de ces feuilles inspirèrent des artistes connus comme Max Ernst, Paul Klee et Alfred Kubin.

 

Dominique Vergnon

 

Dr Anne-Marie Dubois et Thomas Röske (sous la direction de), Follement drôle, Wahnsinnig Komisch, 160 illustrations, 190 x 265 , Infine éditions d’art, novembre 2020, 232 p.-, 32 euros

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