Les Flandrin, à égalité de talents

Transmission de savoirs, émulation réciproque et influences croisées, travaux communs et passions partagées, elles ne manquent pas les familles d’artistes dont les noms ont traversé le temps. On pense aux Limbourg, aux Bassano, aux Brueghel, aux Carrache, aux Gentileschi, aux Le Nain, plus récemment aux Renoir et aux Pissarro.
Au XIXème, à côté des Bonheur, il y a les Flandrin, une trinité qui s’unit sous un nom unique. Les trois frères sont aussi doués l’un que l’autre, les prénoms vont les distinguer : Auguste (1804-1842), Hippolyte (1809-1864), Paul (1811-1902).

Si Hippolyte, qui sera Grand Prix de Rome en 1832, académicien et professeur à l’École des beaux-arts, bénéficiant des commandes qui lui sont passées par la Cour du Second Empire, reste sans doute plus célèbre que ses deux frères, ceux-ci n’en avaient pas moins de talent et de créativité. En témoignent les œuvres présentées dans cet ouvrage, dont beaucoup provenant de dons ou collections particulières sont inconnues. Hippolyte aimait l’histoire, Paul privilégiait le paysage, Auguste appréciait le portrait.
Chez ce triumvirat, selon le mot d’Ingres, règne une véritable sensibilité spirituelle. Présentant les trois frères, Elena Marchetti parle effectivement d’une alliance égalitaire. Proches sans se laisser confondre toutefois. Les dons récents d’œuvres, complétant la collection du musée, enrichissent à nouveau le regard porté sur ces artistes qui laissent un héritage injustement méconnu.
Les grandes décorations comme celles qui se trouvent à Saint-Germain-des-Prés, qui renvoie au XIIIème siècle byzantin et à la peinture monumentale italienne du Quattrocento, de la Toscane et de l’Ombrie, et à Saint Vincent de Paul dont la frise de 90 mètres de long compte 235 personnages, autre brillant travail d’Hippolyte, sont étudiées en détails et très bien documentées.    

Paul est conquis par le caractère de la campagne romaine, puissant, archaïque. Les trois frères iront ensemble à Naples. Héritier de la tradition classique, on peut découvrir au fil des pages une ample série de ses aquarelles, crayons, huiles qui ont pour thèmes les Villa Médicis, Borghèse, Torlonia, les environs de Tivoli et de Volterra, lieux saisis sous une lumière italienne accusant les contrastes, ainsi que ses toiles postérieures, exécutées dans le Midi ou au cours de ses déplacements en France, Pornic, Pouliguen, Le Tréport.
D’abord sobres et allant à l’essentiel, ses paysages sont méditatifs, puis, la maturité venant, deviennent plus descriptifs, avec une végétation abondante, qui ne sont pas sans évoquer certains tableaux de Corot, que les Flandrin avaient rencontré, et Poussin (Les Bords du Rhône près de Vienne, huile sur bois, 1855).
D’ailleurs, dans une lettre à son frère l’invitant à venir à Rome, Hippolyte écrivait Tu trouveras à chaque pas le Poussin.

 

Dans le chapitre intitulé "Images d’une société", ce sont les dessins et les portraits à l’huile de Charles qui se déploient dans une galerie de haute tenue stylistique. La grande société de l’époque passa devant les yeux de Charles, qui met en valeur aussi bien les visages, souvent graves et dignes, que les vêtements, en général de couleur noire, toute couleur autre que le noir est regardée comme de mauvais goût, notera Théophile Gautier. Mais la perfection des modelés, la souplesse de la ligne, les nuances jusque dans les plis et les dentelles font que chaque portrait attire pour ses qualités formelles et sa vérité psychologique.  

Il n’est pas loin de là inintéressant de voir ce que l’on pouvait penser des Flandrin durant leur existence. Par exemple, à la suite de Charles Baudelaire qui reprochera à Paul de vouloir "ingriser" le paysage, la critique longtemps sera sévère. Dans son article sur Hippolyte Flandrin paru en 1859 dans la Revue des Deux Mondes, Henri Delaborde, auteur également d’un livre sur Ingres, écrivait ceci à propos des trois artistes : Ancrés dans le mouvement néoclassique, proches d’Ingres, ils aiment la beauté idéale, la religion et le sacré sont aux sources de leurs sujets, les maîtres du passé leur sont proches, comme en témoigne une lettre où Paul dit à Hippolyte qu’il rêve de "causer face à face avec Raphaël et Phidias".
Quant à Émile Zola,  il avouait, en 1876, l’ébahissement que lui causait Paul Flandrin avec ses paysages académiques, où les arbres sont dessinés comme dans les écoles les torses. On peut compter les feuilles sur les chênes, on croît se promener à travers la nature de Poussin, une nature créée pour les pasteurs de Virgile. Rien ne saurait être plus sublime et en même temps plus grotesque, aujourd’hui que nous avons appris à connaître la vraie nature.

 

 

La rétrospective qui s’ouvrira prochainement au Musée des beaux-arts de Lyon promet d’être absolument magnifique et inédite, permettant grâce aux quelques thématiques retenues, des portraits aux grands décors en passant par l’histoire et le paysage, de mesurer la place des Flandrin, leur rôle, la diversité dans leurs manières et le choix des sujets sans que le désir de  perfection et d’idéalisation qui les animaient pareillement ne soit jamais absent.
Ce livre, qui accompagne l’exposition, est l’occasion d’en faire l’expérience directe et aussi complète que possible.  

 

Dominique Vergnon  


Elena Marchetti (sous la direction de), Les Flandrin, artistes et frères, 461 illustrations, 250 x 280, in fine Editions d’art, mars 2021, 352 p.-, 39 euros

Pour tout renseignement : mba-lyon.fr

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.