"Matelathématiques" d'Anju Dodiya

Nous devons à la galerie Templon la capacité de proposer en Belgique et France l’œuvre d'Anju Dodiya. Sa peinture se veut à la fois un acte de rébellion et d'exorcisme. Elle frappe par la violence de ses thématiques et la subtilité de leur traitement.

Il y a dix ans, à Paris, avec son exposition intitulée Face à face, la galerie présenta une suite d'œuvres sur papier réalisée  à l'aquarelle et au charbon.
L’artiste y rendait un hommage picaresque respectueux et ironique à la peinture considérée non comme un des beaux-arts mais comme un art martial. L’artiste indienne devenait soudain une  samouraï. Par sa peinture elle affrontait ses démons intérieurs. Dès lors il n’existait que deux issues : tuer ou être tué par ce qu’elle créait dans le rituel de son atelier.

Après cinq ans d’absence en Europe, Anju Dodiya dévoile à la Galerie Templon de Bruxelles, un ensemble d’une vingtaine d’œuvres inédites dont sept toiles matelassées et découpées géométriquement. Accueillants mais sans doute inconfortables, ces "matelas-thématiques" étranges recouvrent les murs de la galerie en une série de portraits combinés à des motifs de peaux d’animaux sauvages aussi familiers et qu'étranges.

 


Comme l'écrit l’artiste : Alors que nous nous allongeons sur notre lit ou nous asseyons sur notre chaise, des formes aiguisées et géométriques occupent notre esprit et obnubilent toutes nos pensées. La lenteur, la solitude, et une conscience aiguë de notre corps et de notre esprit font frémir nos antennes émotionnelles. Ces œuvres matelassées ne sont que le fruit de ces pièces obscures que nous habitons.

Parallèlement des aquarelles mettent en scène la thématique du masque, motif de prédilection d’Anju Dodiya qui elle-même s’est souvent représentée masquée. Inspirée par le travail de James Ensor, elle dessine pour son exposition belge des visages figés enduits d’un souffle d’air bleu, de voiles de diamants ou de masques chirurgicaux.

Ils ont été créés au crépuscule, dans la lumière du désert ou sur le chemin de sa maison. Et c'est ainsi que ces "autoportraits" à l'envers sont confrontés au temps et à l’espace. Ils sont imprégnés d'un isolement certain mais qui est sans doute le gage de la survie dans notre époque trouble.

L'artiste renoue ainsi avec une figuration capable de mettre à nu les affres de la vie intérieure, l’angoisse de la création, la violence du monde, l’absence de communication des êtres humains que la pandémie a accentuée au moment où néanmoins écrit l'artiste nous partageons soudainement une blessure commune, la reconnaissance douloureuse de la précarité de nos vies.

Toutes ces œuvres possèdent une puissance poétique rare. Y déferlent des forces prosaïques au sein de scènes intimes et étranges. Pour inventer le théâtre de ses émotions personnelles, l'artiste réactualise une nouvelle fois des sources historiques variées. Son talent d’aquarelliste se trouve ici sublimé. 

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Anju Dodiya, Tower of Slowness, Galerie Templon, rue Veydt, Bruxelles, du 1er avril au 22 mai 2021. Catalogue Face-Off, texte de Enrique Juncosa, Galerie Daniel Templon

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