Giverny refleurit

Proche ami de Monet des décennies durant, Clemenceau qui se rendit souvent à Giverny pour rencontrer le peintre écrivait que le jardin de Monet compte parmi ses œuvres, réalisant le charme d’une adaptation de la nature aux travaux du peintre et de la lumière. Un prolongement d’atelier en plein air, avec des palettes de couleurs profusément répandues de toutes parts pour les gymnastiques de l’œil, au travers des appétits de vibrations dont une rétine fiévreuse attend des joies jamais apaisées […] Il n’est pas besoin de savoir comment il fit son jardin. Il est bien certain qu’il le fit tel que son œil le commanda successivement, aux invitations de chaque journée, pour la satisfaction de ses appétits de couleurs.
Pour Monet, Giverny était le lieu par excellence qui lui offrait tout ce qu’il pouvait rechercher, et notamment la proximité de la Seine qu’il a peinte toute sa vie et les reflets aquatiques qui le passionnaient. Car Giverny n’était pas pour lui une simple résidence, c’est une impérative nécessité, la source et le cœur de son œuvre

 

A la mort de Monet, le 5 décembre 1926, le jardin devient orphelin. La propriété va s’endormir pendant dix ans, comme il est écrit joliment dans ce livre qui relate toute la merveilleuse renaissance de Giverny.
Le prodigieux jardin est une friche gagnée par les ronces, les bâtiments sont envahis par les moisissures, le plancher de l’atelier où furent créées tant de toiles lumineuses reflétant les saisons s’est enfoncé par endroits. Le projet de restauration de l’ensemble est titanesque. Pour le mener à bien, il faudra l’énergie, le savoir, l’expérience, la dévotion, la patience, les réseaux de Gérald Van der Kemp dont l’écrivain José Luis de Vilallonga a dressé un portrait mémorable.
Sans oublier les financements constants à obtenir. Gérald Van der Kemp a été le conservateur en chef du château de Versailles. Le majestueux domaine lui aussi était dans un sombre état. Il retrouvera tout le prestige du Grand Siècle grâce à lui.

Dans une incroyable conjonction de talents, car compte tenu des spécificités de Giverny, il faut aussi un grand connaisseur des jardins, un autre maître arrive, qui a aussi tous les savoirs et toutes les affections qui conviennent pour faire renaître l’endroit.
Ce jardinier gentilhomme vient également de Versailles. Il s’appelle Gilbert Vahé. Il pense travailler sur place un an environ. Il restera quarante ans, maître des fleurs et des massifs, voyant la nature avec les yeux de Monet. Les deux hommes vont unir leurs différences seulement pour le meilleur et entretiendront une parfaite complicité.

 

Les plans originaux sont retrouvés et étudiés, les archives et les anciennes photographies disponibles sont exploitées, les fleurs et les arbres sont identifiés, on laboure à nouveau, on sait où placer les plates-bandes en fonction des dessins d’un témoin incontestable, Jean-Marie Toulgouat, descendant de la famille Monet. C’est une mémoire qui est ravivée.
Le jardin peu à peu refleurit au plus près de ce qu’il était au temps de l’artiste et va offrir au regard, reconquise sur le temps et la nature insoumise, sa pure féérie comme disait Monet.
Toutes les nuances que son pinceau posait sur la toile, les mains du jardinier en chef les recomposent  à partir de la terre. Gilbert Vahé aura aussi à redessiner le bassin et à reconstituer le fameux pont japonais. Comme il le dit, ce n’est pas simplement une affaire de botanique, c’est un esprit à réinsuffler, d’autant plus qu’on est dans un jardin face à un défi permanent, puisqu’il s’agit de pérenniser l’éphémère.

Les illustrations qui agrément les pages de cet ouvrage apportent elles-aussi, dans un autre registre et d’une autre manière, une espèce de féérie florale tant elles permettent de suivre les étapes de cette aventure au sens propre, unique au monde.
Le lecteur promeneur suit selon les saisons les travaux et les plantations, compare les évolutions en ayant en face les tableaux exécutés par Monet, observe l’avancée des réfections du Clos normand, lit des échanges de lettres parfois étonnantes, emprunte les allées pour admirer les rosiers. Il a pour sa curiosité le détail des commandes de Monet, découvrant notamment les noms savants des nymphéas que le peintre aimait par-dessus tout, consignant à ce sujet :
J’ai mis du temps à comprendre mes nymphéas… Je les cultivais sans songer à les peindre… Un paysage ne vous imprègne pas en un jour… Et puis, tout d’un coup, j’ai eu la révélation des féeries de mon étang. J’ai pris ma palette. Depuis ce temps, je n’ai guère eu d’autre modèle. C’est bien la chronique d’un sauvetage sans pareil qui se déroule et devient un spectacle né des beautés que dispense la nature.
 

Dominique Vergnon

Gilbert Vahé (sous la direction de), texte de Valérie Bougault et Nicole Boschung, Le jardin de Monet à Giverny  Histoire d’une renaissance, 130 illustrations, 240 x 280, éditions Claude Monet-Gourcuff/Gradenigo, mars 2021, 240 p.-, 39 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.