Henri Cartier-Bresson, portraits connus et inconnus


Qui, aimant l'art photographique, ne connaît et ne voit, donc – incontestables icônes en le genre –, le portrait de Colette en compagnie de Pauline Vérine, sa gouvernante, celui de Jung, l'œil rond, fumant, Matisse en sa robe de chambre, tout environné de fraîches colombes ? Ou encore celui, le plus connu d'un François Mauriac pointu, interrompant un instant sa lecture ? Celui de Sartre, sobre, au réverbère et à la pipe ? Je pourrais en sortir comme ça encore deux douzaine d'autres de ma plume sans avoir besoin de citer le nom de leur auteur...
C'est que, si l'on nous dit Joconde... Et ainsi de suite, n'est-ce pas, idem en tous les arts. Conditionnement culturel au processus mécanique presque, qui est sans cesse allé, il me semble, avec toujours davantage d'ampleur parce que s'accélérant.

Comme c'est également le même cas, en toute logique, pour les portraits d'autres photographes, il en est aussi de nombreux, parmi ceux signés du même Henri Cartier-Bresson, qui ne figurent que rarement, trop rarement, parfois jamais hélas, et fort injustement, dans un album ou une exposition.
Le monde de l'édition, musées et commissaires, préférant quasiment tous tout miser sur le plus large spectre de noms pour le moins connus, sinon célèbres, hameçonnant ainsi, sans plus de peine, tout un vaste public sans doute pas insensible à plus ou moins de "poudre d'or" aromatisant de telles œuvres.
Et l'on peut, je crois, se demander si, au fond, en dehors de quelques aficionados, le public lambda ne raffole pas avant tout – sans jeu de mot – de tels clichés, alors au sens péjoratif du terme ; du genre de ceux largement mis en vedette et véhiculés par les services de presse officiels. Clichés, dans bien des cas – et en tout cas, cela va de soi, en celui d'HCB – au demeurant admirables mais qui, finalement, figent sur place et statufient plus qu'autre chose l'artiste photographe en la production la plus médiatisée, mais par là imparablement et très partialement réductrice, de son œuvre. De tels portraits ne pouvant pas, chacun, en effet, briller et faire recette sans s'empêcher en cela d'éclipser une bonne part de tous les autres.

C'est pourquoi j'ai voulu placer mon article sous les auspices de ce magistral portrait d'Aldo Fiorio, pris chez lui, à Montjustin, sur le seuil de son cher atelier de menuiserie. Portrait qui, jusque-là, n'a sans doute pas circulé au-delà du petit village où HCB avait, lui, sa maison de vacances, juste en dessous, à flanc de coteau.
Voici donc Aldo-le-modeste-d'entre-les-modestes, qui fut pour Serge, son frère le peintre, ce que Théo fut pour Vincent van Gogh. Certes, il n'est pas connu, mais son portrait ne mérite-t-il pas de l'être - vous m'en direz des nouvelles, n'est-ce pas -, au même titre que tant d'autres tactiquement élus sur le critère supplémentaire de la célébrité ?
 

André Lombard

Henri Cartier-Bresson, Le grand jeu, BnF, Quai François Mauriac, 75706, Paris, du 13 avril au 22 août 2021

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