Fines lames !

Il est très difficile de rendre compte de l’œuvre immense – ou des œuvres immenses – de Frédérique Jacquemin. Affirmons tout d’abord qu’elle est artiste dans tous les sens du terme : peintre, sculptrice, auteure de plusieurs livres, dont la fameuse Histoire du bleu publiée en 2000 chez Noesis.

Frédérique Jacquemin s’est fait connaître l’an dernier par une exposition fameuse au Musée de la Carte à Jouer (Issy-les-Moulineaux) où ses sculptures évoquant les lames du tarot ont rencontré un public en admiration devant ces êtres étranges, mi-femme mi-homme, « vierges ouvrantes », boîtes, visages émergeant d’un linceul de céramique ou de résine. Pour les curieuses et les curieux, le magazine Artension lui avait alors consacré quelques pages, ce qu’il réitère ces jours-ci.

Or voici que dans ce livre éclairant, riche, savant et très inspirant pour un écrivain ou tout autre artiste, Frédérique Jacquemin brode au sujet des différents tarots, finissant par avouer : je suis ces lames ! Bien sûr, elle le dit beaucoup plus subtilement que nous ne pouvons le faire, mais l’on comprend bien que de nombreux aspects de sa vie – danseuse, sculptrice, peintre, formatrice, etc. – se trouvent résumés dans ces cartes, ces lames du tarot qui tranchent avec nos vies moins illustrées ou moins illustres…

Et si ce n’était que cela !… Un livre inspirant, qui montre grâce aux excellentes photos de Michel Giorgis Comte des œuvres véritablement stupéfiantes… Mais Frédérique Jacquemin nous offre encore sa science, ses références, ses rencontres, que ce soit avec un tableau de Rembrandt inconnu (et non reconnu !), avec le panthéon hindou, avec le christianisme primitif, avec le Baphomet des Templiers, avec Botticelli, Platon, Homère, et tant d’autres, citant ceux entre lesquel(le)s elle établit des ponts, de fines passerelles ou de vastes tunnels. Cette artiste est une mine de sagesse et de science : Je me suis souvent perdue dans la forêt obscure des symboles, car tout devient magie pour qui rencontre du divin dans l’ordinaire, voit du sublime dans l’épopée du quotidien […] Si l’artiste s’en amuse, c’est jusqu’à un certain point. De même que la nature imite l’art – je connais peu d’artistes qui n’ont pas fait leur la sentence wildéenne – il est arrivé que je singe mes statues, que les lames m’impressionnent jusqu’à me posséder, jusqu’au point de porter leur persona.

L’érotisme puissant de son œuvre plastique, les mystères de l’androgynie qu’elle véhicule, tout cela est évoqué sans fausse pudeur, grâce à la force d’une femme qui sait où se trouvent ses corps.
L’androgynie qui préside à nos destinées trouve ici toute sa place. Même s’il s’agit avant tout d’une mise en spectacle du tarot, ce livre littéralement sublime – osons ce mot ! – nous emmène infiniment plus loin, vers des espaces où le féminin et le masculin vont se rejoindre dans une longue étreinte.
L’anagramme d’étreinte est : éternité.


Bertrand du Chambon

 

Frédérique Jacquemin, 22 & 21 lames, 41 photographies de l'auteur, éditions l’Atelier du Grand Tétras, avril 2021, 128 p.- 20 €

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