Les singeries décorent Chantilly

Quand en 1668, âgé alors de 47 ans, il publia ses Fables, La Fontaine, pour expliquer sa démarche, écrivit ces mots aussi éloquents que justes : Je me sers d’animaux pour instruire les hommes. Les singes à plusieurs reprises trouvèrent dans ses apologues une place de choix. Autre genre à la mode à côté des turqueries et des chinoiseries, les singeries du XVIIIe siècle nous renvoient sous d’autres formes aux célèbres histoires du siècle précédent.
Mais cette fois, la plume a cédé sa place au pinceau, en particulier celui de Christophe Huet (1700-1759) dont le talent pictural rivalise aisément avec le talent scriptural de La Fontaine. Né à Pontoise, mort à Paris, appartenant à une famille où peindre était un métier à l’honneur, Christophe Huet prend rang parmi les plus éminents peintres animaliers de son époque, comme Oudry, qui mourut quelques années avant lui.

C’est au château de Chantilly que Huet a pu faire valoir aussi librement et magnifiquement cette verve, cette imagination constante et illimitée, cette finesse des attitudes et des couleurs dans les deux Singeries situées au cœur des appartements des Princes de Condé.
Le fait d’avoir recours à cet animal si proche et si différent de l’homme n’était pas nouveau, puisque, ainsi que le relate dans ce charmant et intéressant ouvrage Nicole Garnier-Pelle, conservateur général du patrimoine, auteure de nombreux livres et qui connaît le château de Chantilly dans ses plus petits détails, depuis l’Égypte en passant par Albrecht Dürer, David Teniers et Jean Siméon Chardin, l’animal exotique avait acquis une notoriété inégalée parmi les animaux des autres continents, comme le perroquet par exemple, ou encore avant lui, le guépard dont on peut admirer la grâce puissante dans une peinture sur vélin de Giovannino de’ Grassi de 1400-1410, conservée au British Museum. Le singe donc est en majesté ici, comme un témoin malicieux de l’époque.

 


Deux autres grands noms de la peinture sont évoqués ici, Watteau et Claude III Audran. Christophe Huet, qui a été aussi graveur, a exécuté de merveilleuses huiles montrant des chevreuils, des écureuils, des dindons et des poules mais aussi des flamants roses, des macaques, un porc-épic, toute la gens animale chère à La Fontaine, véritable société fonctionnant à la manière humaine, suivant des règles précises à la fois anthropomorphiques et allégoriques.
Dans un parcours où dérision et imitation, fantaisie et vérité se disputent la préséance, voici le singe peintre, le singe sculpteur, le singe géographe, les singes à la toilette, jouant aux cartes, à cheval, habillés en fonction des saisons, dialoguant, tous gentilshommes galants et dames distinguées. Il semble, note Nicole Garnier-Pelle, que les maîtres de maison ne se soient pas sentis offensé par ces caricatures sinon amusés, le raffinement et l’humour autorisant la critique.  

Fabuleux, précieux et rares décors, les singeries de Chantilly constituent un ensemble unique au monde. Très détaillé, illustré avec un goût qui va de pair avec l’élégance des lieux, ces pages en reprennent le long et passionnant récit. Les autres décors qui subsistent à Champs-sur Marne, dont la construction commença en 1703, et à l’Hôtel de Rohan-Strasbourg, à Paris, où travailla Christophe Huet, sont également étudiés.   

 

Dominique Vergnon

 

Nicole Garnier-Pelle, Les singeries de Chantilly, 65 illustrations, 190 x 260, in fine Éditions d’art, Coll. Château de Chantilly, juin 2021, 96 p.-, 19 euros

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