Velázquez et Saint Thomas

Pour une œuvre de jeunesse, quelle virtuosité déjà, quelle inspiration inégalée, nouvelles preuves que selon l’adage, pour certains peintres bien nés le talent n’attend pas le nombre des années ! Velázquez travaille alors à Séville, son lieu de naissance, la cité opulente appelée la "Puerta de America" en raison de ses liens avec l’Amérique. Il est entré, à peine âgé de 12 ans, dans l’atelier de Francisco Pacheco où se réunissent les brillants esprits de la ville. Le 14 mars 1617, il est reçu dans la corporation des peintres, marque évidente de ses aptitudes.
Son Saint Thomas date de 1618.

 

Regarder ce tableau, c’est voir comme l’annonce parfaite et complète de ce style qui va faire de Velázquez un des plus grands et un des plus exceptionnels peintres non seulement espagnols mais de l’histoire de la peinture universelle.
Tout est là de ce qui rendra son nom immortel, concentré, solide, profondément intériorisé par la pensée, majestueusement mis en mouvement par la main, afin de donner en retour au regard extérieur un désir de silence face à un portrait d’une rare expressivité, un besoin d’admiration devant ce visage jeune dont les yeux paraissent arrêtés par un au-delà soudain pressenti, comme si l’apôtre qui a douté avait reçu un signe de foi mettant fin à sa perplexité, rappelée par la bouche entrouverte.

D’abord la technique, assurant les coups de pinceau vifs et sûrs, sans repentirs, pour donner du relief au drapé du vêtement qui couvre le corps, laissant juste visibles les deux mains, l’une tenant un livre épais relié en cuir, l’autre une pique ou une lance, car on note à droite l’éclat métallique de la pointe.
Les harmonies de couleurs ensuite, toutes tournant autour de l’ocre, de l’orangé, du brun, composant ainsi autant de nuances pour les plis et pour la peau. Dans cette unité, seules deux extrêmes, le blanc des pages, le noir des cheveux. Une lumière venue de gauche illumine l’ensemble, assez haute pour tomber sur Thomas et faire ressortir du fond sombre à la fois sa sveltesse, sa jeunesse, sa carrure. Un clair-obscur aussi doux que spiritualisé fait vivre le personnage.

L’œuvre a été récemment restaurée. Relaté par Corentin Dury, conservateur du patrimoine, son parcours est passionnant. Attribué initialement à Murillo, ce chef d’œuvre a été rendu à son auteur grâce à l’expertise de Roberto Longhi, mort en 1970 à Florence, remarquable professeur et célèbre historien de l’art qui étudia entre autres maîtres Masaccio et Piero della Francesca. Roberto Longhi découvrait en 1920 le tableau au musée d’Orléans. Cette pièce à son époque intégrait un cycle d’apôtres. Elle est d’une telle qualité que le musée du Louvre voulait la récupérer.
Ce monument de couleur, de lumière et de volume, pour reprendre les mots de Corentin Dury, commissaire, est restée donc à Orléans, sur les bords de la Loire, dans ce musée créé au départ à la Révolution mais refondé en 1825, comptant près de 2 000 peintures couvrant l’étendue de la création artistique européenne et qui est de par l’étendue de ses collections, est un des riches musées de France.

Cet ouvrage accompagne l’exposition-dossier qui se tient du 5 juin au 14 novembre. Des  prêts ont permis de réunir les trois apôtres connus de la série exécutée par Velázquez, à savoir Saint-Paul, un tableau venu de Barcelone et une Tête d’apôtre, un autre  tableau venu de Séville, avec des œuvres peu connues qui traitent de l’apostolado. On peut notamment voir des toiles de Pacheco, Ribera, Luis Tristàn,  une estampe d’Hendrick Goltzius montrant Saint Jean, et des œuvres parfois inédites permettant de mieux comprendre l’exécution de ces tableaux au carrefour des courants naturalistes européens. Une occasion à ne pas manquer.

 

Dominique Vergnon

Sous la direction de Corentin Dury, Sur les traces du Saint Thomas de Velázquez ; dans la poussière de Séville, 90 illustrations, 200 x 240, coédition Musée des Beaux-Arts d’Orléans / In Fine éditions d’art, juin 2021, 160 p.-, 25 euros

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