Arnould de Vuez, le grand peintre de la Flandre

Relégués souvent injustement par les générations successives qui les marginalisent, nombreux sont les artistes qui ayant de leur vivant bénéficié d’une véritable aura retrouvent un jour leur renommée passée, leurs noms n’ayant jamais été totalement engloutis. Sortir de l’oubli des siècles un artiste qui n’éveille guère d’écho est tout autant un défi, une réelle aventure et un jalon dans les étapes d’une reconnaissance qui ira, il faut le souhaiter, en s’élargissant.
C’est cette longue démarche, non exempte de surprises et d’émotions, qu’a entreprise François Marandet pour Arnould de Vuez. Né à Saint Omer en 1644, une ville qui à cette date n’est pas encore française puisqu’elle est située dans les Pays-Bas espagnols, Arnould de Vuez est au XVIIe siècle le plus important témoin de la peinture d’histoire, le genre le plus noble pour André Félibien, et le décorateur majeur de la province de Flandre.
Le remarquable travail d’études, d’analyses, de réattributions, de restauration tant du nom que de l’œuvre de cet artiste qui a été engagé trouve son double et éclatant aboutissement et dans cet ouvrage et l’ample rétrospective du musée Sandelin, la première à ce jour. Elle est à la fois consécration, mise en lumière et ouverture sur de nouvelles perspectives qui enrichiront cette redécouverte. Pourquoi une telle disparition ?
Deux facteurs ont notablement contribué à cette éclipse : le fait unique et incroyable que les descendants aient gardé pendant trois cent ans le fonds d’atelier du peintre d’une part, les destructions de la guerre de l’autre. 

 

 

Ce retour en grâce est heureux et s’explique pour plusieurs raisons. Arnould de Vuez a poursuivi une prestigieuse carrière, il a reçu de nombreuses commandes, Charles Le Brun  premier peintre du Roi et triomphant alors à Versailles et à Sceaux l’apprécie au point de le rappeler en France alors qu’il est en Italie, il est reçu à l’Académie le 20 décembre 1681 pour son éloquent  morceau de réception intitulé : Allégorie de la France avec la Bavière
À côté de la toile dont les couleurs vives et lumineuses révèlent le sens affiné des harmonies de couleurs de Vuez, on peut observer le projet à l’encre et lavis qui souligne son habilité dans la mise en place des personnages. 

 

Car si Vuez dès sa jeunesse et son intérêt marqué pour la peinture a tiré ses premières leçons dans les églises locales où sont accrochées des œuvres d’artistes anversois, il a fait comme on disait le voyage d’Italie, étape fondatrice dans son parcours, entre autres pour copier les maîtres afin d’acquérir par la suite son aisance personnelle et son propre style.
Les frères Carrache, surtout Ludovic, Michel-Ange, Raphaël, Le Corrège, Giulio Romano, à l’évidence Véronèse dont l’influence se retrouve dans plusieurs compositions comme par exemple La Présentation de la Vierge au Temple, sont pour lui des sources d’enrichissement de son vocabulaire esthétique.
L’Antique constitue pour Vuez un moyen d’acquérir de nouveaux motifs, tel celui du sarcophage qui l’attire à l’inverse de nombre de ses contemporains qui le négligent. Vuez est si bon dessinateur que certaines de ses feuilles apparaissent classées sous le nom de Nicolas Poussin. Quant à Antoine Watteau, natif également du Nord de la France, il a vraisemblablement rencontré Vuez, il a vu certaines de ses œuvres et les a admirées.

 

Le parcours qui est chrono-thématique et inclue un intéressant cabinet graphique permet de suivre aussi bien l’existence du peintre durant son séjour parisien, ses différents chantiers à Lille, en particulier l’Hospice Comtesse et le Palais Rihour, à Cambrai, à Douai et ses multiples commandes payées en livres et en florins que l’évolution de son style, ses ruptures, ses forces et ses insuffisances.
En effet, Vuez, dont le caractère est vif – il tue son adversaire lors d’une violente querelle – est capable d’exécuter des toiles magistrales, classiques, parfaitement équilibrées, aux contrastes bien étudiés, aux couleurs vives posées en aplats, allant jusqu’à l’acide, comme Le Passage de la mer Rouge, narration aux accents dramatiques du célèbre épisode biblique, un thème traité par Poussin et en faveur chez les amateurs flamands. Il s’affirme en outre expert en grisaille, comme le montre cette belle série de figures allégoriques dont il fait ressortir le côté minéral et quelque peu "mystérieux" selon le mot justifié de l’auteur et en trompe-l’œil (Le Sacrifice d’Elie).
Il s’impose enfin comme un dessinateur des plus talentueux, avec tantôt une légèreté du trait qui esquisse plus qu’il ne précise chacun de ses sujets, tantôt un goût prononcé pour les détails, ce qui se note aussi dans ses peintures (coquillages, coiffures féminines, vases, etc.). Il faut ajouter sa virtuosité dans les drapés, avec les plis cassés caractéristiques, et dans les attitudes corporelles qui animent superbement les compositions, qu’elles soient à la sanguine, à la plume et lavis, à la pierre noire.

Étonnamment, à côté des prouesses confondantes surgissent des faiblesses surprenantes, des paysages à peine achevés, des visages aux expressivités inégales, parfois une anatomie approximative alors qu’il sait si parfaitement traduire par ailleurs les mouvements puissants de ses héros et les postures élégantes de ses saintes (Sainte Zita, avec ses attributs).
Certes les écarts de qualité ne manquent pas, Arnould de Vuez soigne et délaisse, le degré de finition varie pour reprendre les mots de Romain Saffré, le directeur du musée qui connaît la vie et l’œuvre de Vuez dans ses moindres secrets. Mais parce qu’il a du métier, Vuez séduit toujours, ses cycles témoignent de son érudition, ses modelli  de son savoir. Une attachante lecture et une passionnante visite à faire.
 

Dominique Vergnon


François Marandet, Arnould de Vuez, peindre en Flandre sous Louis XIV, 220 x 280 mm, nombreuses illustrations, Musées de Saint-Omer, novembre 2020, 259 p.-, 38 €

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