Ce cher Jean Mogin !

Le poète est ici portraituré chez lui à Montjustin, à La Ferrage, le 4.mai 1985, par son amie la photographe Nicole Hellyn. Un an plus tard seulement, le 7 avril, il s'éteignait à Bruxelles où, en désespoir de cause, il était parti se faire soigner.
Ses obsèques, qu'il avait voulues accompagnées de la présence d'un prêtre pour le sacré, eurent lieu à Montjustin – Lucien Henry, de Forcalquier, faisant office de clergeon pour la bénédiction au bord de la fosse.

Partout – et jusque sur les tombes, chacune de pleine terre –, tout le sol du rustique petit cimetière-jardin se trouvait ce jour-là joliment tapissé de violettes sauvages. Mais, blessée dans l'âme, tragique et douloureuse, écorchée vive, Lucienne prit en mal cette floraison de petits visages à ses yeux profondément indiscrets, indélicats et indécents d'assister si nombreux à l'enterrement.

Elle qui l'avait tant chérie et célébrée, plus jamais n'aima – sauvage ou pas – la violette, et il ne fallait plus lui en parler, sous aucun prétexte. Même pas pour lui faire le moindre petit éloge de son poème – admirativement dédié à Madame Colette – qui, pour titre, en porte le nom et dont la troisième strophe s'exclame pourtant, comme un étendard claque au vent :

Salut, salut, salut, fleurons subtils, 
Salut au nom des morts, au nom des mortes,
Et salut en mon nom, vague d'avril,
Foison que mars rapporte et mai remporte.

Dans le portrait qu'il dresse de Jean, en avril 1995, en préface au Choix de poèmes paru cette année-là dans la collection Poésie-Théâtre de l'Académie Royale de langue et de littérature françaises, Jean Tordeur écrit à la fin : Voici aujourd'hui neuf ans, le prêtre qui accompagnait le deuil de Jean disait de lui : Il fut un vivant dont la qualité de vivant enrichit les autres.
Au cimetière de Montjustin, une petite pousse de vigne reprend vie à chaque printemps sur la tombe de Jean. Le livre que voici se veut à l'unisson de cette floraison symbolique. Il fait confiance à ceux, d'aujourd'hui et de demain, qui sauront reconnaître ici une des paroles les plus justes, les plus ferventes, les plus salubres qui soient, et qui la transmettront, comme un pain vivant, à d'autres.

Très raffiné de cœur et d'esprit, aimant rire et faire rire, tout en pouvant être d'un sérieux comme d'une gravité extrêmes, Jean était, et se reconnaissait bien lui-même, fils de Norge et condisciple spirituel de sa chère Lucienne.

Il a, de sa propre initiative, laissé une notice biographique dans laquelle il se décrit lui-même sommairement comme suit : Né à Bruxelles, le 25 avril 1921, fils de Norge (Georges Mogin) et Jeanne Laigle. Ascendances françaises et wallonnes. Mari du poète français Lucienne Desnoues. Deux filles, Isabelle et Sylvie.
Humanités anciennes chez Decroly, école du
gay savoir rabelaisien. Sait que nos temps comme tous les autres  sont tragiques ; mais pense, avec Norge, que comme la gravité manque de pudeur, il ne faut pas en abuser.
Licence en
de l'Art et Archéologie. Ex-animateur de la Tribune poétique du Journal des Poètes, membre du comité des Midis de la Poésie. Poète et dramaturge.
Directeur de la Radio, après y avoir, en plus de trente ans, exercé la plupart des métiers, du journalisme politique à la direction culturelle. Président d'honneur de la
Communauté radiophonique des programmes de langue française.
Amateur de folklore, d'objets curieux, d'âmes et de la Haute-Provence ; pratique le contrepet, la charade, la farce téléphonique, les bonnes manières, la bonne table et le jardinage. Admire Péguy et Claudel, Supervielle et Segalen, Dieu et le Diable, mais aussi Jean Tardieu qui démontre glorieusement que d'avoir toujours
le petit pot pour frire (soit  le petit mot pour rire ; cf. : Un mot pour un autre) n'empêche pas de voir loin.

Voici l'un de ses poèmes - écrit lui aussi en forme d'autoportrait - que fraternellement Jean nous tend, semble-t-il, en guise de miroir métaphysique.

HOMME AU SECRET

Homme caché dans l'homme vu,
Homme enfoncé dans l'homme en vue,
Homme embusqué dans l'homme en chasse,
Homme en retrait dans l'homme en proue,
Homme au secret dans l'homme clair,
Homme de foi dans mon doute enfermé, 
Je m'en remets à toi.

 

André Lombard

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