Martel et l'or du temps intérieur

                          La laveuse de vaisselle, huile sur toile, 102x182 cm, avant 1914

C’est après avoir fortement admiré hier ce Martel en guère plus de temps qu'un clin d’œil à même la pénombre d’un coquet appartement qui, parce que propice, au fond, à sa grave intensité, lui sied de fait à merveille, que j’ai eu envie et besoin de me pencher un peu plus longtemps sur lui, encore à chaud et en partie de mémoire, quoiqu’alors, si l'on veut, en pleine lumière car secondé d'une reproduction une fois rendu à la maison.

Je subodore qu’au travers du rigoureux portrait in situ de cette encore jeune femme sur son lieu de travail quotidien à l’auberge, c’est celui de l’anima du peintre que ce dernier y fait en fait analogiquement figurer en lieu et place plus secrets ; étant d'ailleurs alors lui-même approximativement âgé de 30 ans quand il peint ce chef-d’œuvre d'avant 1914.
Ainsi que dans le même temps me vient soudain aux lèvres le nom de O. V. de L. Milosz tant j’aime imaginer voir passer – et peut-être même bien repasser – dans l’esprit visiblement hardi de cette altière créature peinte assise, solitaire, quelques bribes de ses vers les plus beaux et les plus significatifs mélangées à des éclats de rêves sans aucun doute plus directement personnels.

...au sein du réel, dans le silence de la tête,
Le planement muet de l'or intérieur.

Ou encore :

Car il est un pays où l’être unique est seul
En face de soi-même.
Là il s’aime
Et s’épouse
Et se crée.
Là, il se glorifie.

Autrement dit ici, selon mon ressenti : Martel lui-même, en sa vérité, passant tout d’un coup ouvertement en premier plan, en train de se peindre de près et tout en profondeur au travers – et donc au-delà – du magistral portrait-prétexte d’une laveuse de vaisselle immortalisée, sans doute après le coup de feu, au moment de sa pause !

NB : nulle pendule au mur, mais, par contre, à toute fin utile, un extraordinaire fourniment d'objets et d'ustensiles, chacun de nature et de timbre différent : casseroles, tamis, verseuses, thermos peut-être, cafetières, plats de cuivre et d'étain, bouteilles, carafes, râpes, passoires, arrosoirs, comme autant – par analogie verticale – d'instruments de musique intérieure à portée de main, toujours là à disposition comme chez certains flamands.

André Lombard

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