Les formes inspirées d’Antoni Gaudi

Comme dans les rêves dont on se souvient, quand les images en effervescence se relient entre elles à grande vitesse, dans cette étonnante architecture qui invite d’elle-même le regard à en saluer la fluidité, pas de lignes droites qui se recoupent, que des ornements libres qui s’entrelacent, des courbes qui s’harmonisent et des couleurs qui se fondent et s’enchaînent. Tout ce que l’on peut voir au parc Güell, dans le vestibule de la Casa Milà et devant la façade de la Casa Batlló et d’autres lieux uniques.
Autant de formes écrites par la main d’un concepteur venu d’ailleurs, descendu d’un monde étranger à nos visions habituelles où tout respire l’inédit pour l’esprit, la surprise pour l’œil, le plaisir pour le souvenir. On dirait que la nature a dicté les volumes, les agencements, les cheminées, les escaliers, les toits-terrasses, les balcons qui sinuent, les arches qui se succèdent, les coupoles qui s’élèvent en usant de formules qui semblent d’autant plus simples qu’elles sont complexes.
Rien n’est inventé, parce que la nature a déjà tout écrit. L’originalité consiste toujours à revenir aux origines.

Ces mots ont pour auteur Antoni Gaudi, le célèbre architecte qui était aussi à sa manière un poète inspiré, que l’on croyait arrogant alors qu’il était affable, distrait alors qu’il était absorbé dans ses idées parfois extravagantes, en conservant à ce mot son origine latine, un homme de ferveur au caractère non conventionnel selon ses contemporains, tombé dans l’oubli après sa mort et soudain salué par une reconnaissance unanime.
Il a été l’objet de caricatures, il vivait seulement pour son art, veillant à tous les détails afin de lui donner sa force plénière. Il travailla le fer, la céramique, le bois, le vitrail, il modelait parfaitement, c’est au fond même de son imagination qu’il puisait ce style éblouissant qui joue avec la lumière et remplit l’espace, déroute d’abord, fascine vite, se grave dans la mémoire.
On voit chez lui croître cette double mission tout à la fois mystique et plastique ainsi que le note François Loyer. Des mots faisant écho à ceux de Juan José Lahuerta, commissaire général de l’exposition pionnière du musée d’Orsay, qui associe au sujet de Gaudi, deux mots révélateurs, génie et saint.

L’UNESCO, avec raison, a inscrit 7 de ses bâtiments sur sa Liste du Patrimoine mondial, ce qui est plus que rare et preuve d’un respect universel. Du reste, les critères retenus pour cet hommage international, en particulier la créativité extraordinaire, l’authenticité exceptionnelle, l’association étroite aux courants culturels et artistiques du Modernisme catalan, sont ceux que désormais un immense public ratifie aussitôt en voyant ses œuvres.

Le nom de Gaudi (1852 1926) est indubitablement et pourrait-on dire viscéralement attaché à un monument des plus emblématiques de Barcelone, la Sagrada Familia, dont la construction commença en 1882, véritable livre de croyance ouvert entre ciel et terre, aux dimensions impressionnantes, qui ne sera en principe terminée qu’en 2026. Dans une biographie illustrée1 de Gaudi, on peut lire : Pour lui, la Sagrada Familia était comme une grande bible en pierre qui devait aborder tous les aspects de l’histoire et des mystères de la foi chrétienne, et aucun détail ne pouvait être choisi au hasard.
Gaudi y consacra plus de 40 ans de sa vie, étant à la fin totalement en symbiose avec la basilique qui jaillissait de la terre comme un arbre ou une montagne, attendant la ville qui en prise avec ses contradictions et les conflits sociaux qui la divisent, s’en rapprochait progressivement, comme on pouvait le lire à l’époque dans la presse locale sous la plume de l’écrivain Joan Maragall.
Gaudi, qui appréciait beaucoup Viollet-le-Duc, entré à l’école d’architecture en 1874, mit dans cette cathédrale déchirante et dramatique tout son savoir d’architecte, de visionnaire, de créateur. Il estimait que l’architecture est le premier des arts plastiques, la sculpture et la peinture procèdent d’elle. Sa suprématie vient de la lumière. L’architecture est la mise en ordre de la lumière, la sculpture est jeu avec la lumière, la peinture, reproduction de la lumière par la couleur qui est la décomposition de celle-ci.

 

Le lecteur suit le parcours de ce grand maître, croise entre autres personnages Rodin et le comte Eusebi Güell, Hector Guimard, Le Corbusier et Picasso.
Les nombreux documents pour beaucoup inédits permettent d’entrer dans les détails de l’existence de Gaudi et de sa manière de travailler, de le suivre dans son atelier, de découvrir ce foisonnement et cette profusion de décor et d’aborder les témoignages urbains qu’il a laissés, légitime fierté de Barcelone et de son histoire.     
 

 

Dominique Vergnon

Collectif, Gaudi, 229 x 293 mm, illustrations, éditions Hazan-musée d’Orsay, avril 2022, 320 p.-, 49 €

Exposition se tenant au musee-orsay.fr jusqu’au 17 juillet 2022

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