Lire, écrire, relire : quelques considérations en passant

Oh boudiou combien on va peut-être me trouver moutardier ! Car aujourd'hui, je vais vous dire, je préfère carrément, et de loin, écrire que lire, j'en retire de meilleures, plus fortes et plus hautes sensations d’exister, d’être soi, davantage différencié : un plaisir de facto plus stupéfiant à vrai dire, même s’il s’agit le plus souvent et irrégulièrement de l'élaboration de courts articles sur un éventail de sujets somme toute limité.
Lire – là, je sens bien, sûr et certain, que je vais tout droit et tout de suite me faire quelques bons nouveaux copains ! –, n'est-ce pas, dans une certaine mesure, malgré tout subir et suivre, se laisser conduire ?
Écrire, au contraire, même qu'un peu de temps en temps, c'est inventer sa route, son chemin, son sentier ou sa piste, à main levée et à son rythme ; ​c'est même ​s'inventer en partie soi-même de la même façon en quelque sorte, et à cette occasion, mieux apprendre à se connaître, à force, fatalement. ​Rien que​ la mise en route, puis en forme, d'une toute petite page, serait-ce la plus anodine, procure déjà tout un tas de petit​s ​plaisirs​ d’agencement, si je puis écrire, ajoutés à d'autres satisfactions et découvertes, elles, tout à fait plus personnelles qui, loin d'être inouïs donc, exaltent néanmoins ; et tient lieu aussi d'exercice,​ tissant des liens avec la suivante qui, dès lors, s'en trouvera, ​peut-être, davantage accomplie, stylée : plus et mieux écrite, au sens artistique du terme.
Il faut chercher et choisir ses mots,​ accueillir ceux qui viennent, de prés ou de loin, arrivent tout à coup, parfois à la renverse,​ tombent tout droit directement du ciel sous la plume ; il faut en prendre soins, les combiner,​ en assembler tenons et mortaises,​ construire sa phrase, autant que possible, coudre certains paragraphes entre eux, brosser le poil au besoin, parfois lisser les plumes ou bien alors, tout au contraire, etc : toute une petite cuisine, quasi improvisée, sans recette certaine, et sans doute pour cette raison jamais ennuyeuse.
Bref, tout le long de l'acte d’écrire, voilà celle ou celui qui est à l'œuvre plongé tout entier, la tête la première, en son propre présent, sa bulle, sa cellule, immergé en une forme de qui-vive de la sensibilité, de vie intérieurement expansée, qui fait que, tout à fait paradoxalement, le temps passe alors à une vitesse folle sur le cadran, comme un bolide, trois heures pouvant s'écouler en dix minutes, tandis que l’on s'absorbe pourtant ainsi fort tranquillement dans son coin, à son rythme, à son aise, et, pourrait-on dire vraiment... comme de toute éternité !
De là, pour accrocher ici encore quelques lignes à la remorque de ce que je viens tout juste d’écrire, voici ​:​ n’étant pas bibliophile pour un sou, j'ai cependant une assez riche, en tout cas il me semble, bibliothèque​ d'éditions courantes pour la plupart​ ; aussi – l’âge aidant sans doute ! –, je ne lis plus que ​quelques rares ​nouveaux auteurs – ici, ma déclaration se trouvant être d'elle-même peut-être bien à double sens, il me semble ! –, c'est relire qui me botte dorénavant. Me reste donc largement de quoi faire, comme on dit, jusqu’à la fin de mes jours !
Mais pour relire, il faut bien d’abord avoir lu ! Oui, en ma jeunesse folle, comme nombreux et nombreuses de ma génération étudiante post-soixante-huitarde, ​je lisais vraiment ​à tire-larigot​ ; mais, quoique du genre fort prisé à l’époque, pas une once, pour ma part, de science-fiction à laquelle j'étais, et suis resté, non seulement fermé comme une huître mais allergique en bloc.
Après les années de lycée​ et quelques mois seulement de fac​ de Lettres, en ayant très vite eu ras-le-bol, j'ai continué tout un temps à lire encore assez abondamment et librement, à ma façon, sur ma lancée ; présence d'amis ou de proches eux-mêmes écrivains...
Et puis, j'ai tout doucement changé mon fusil d'épaule, ou plutôt, disons plus exactement qu’il a glissé de lui-même de l’une à l’autre insensiblement : j’ai ainsi découvert un plaisir à la fois plus vaste et plus intense à relire un, puis deux auteurs​ ; une autre satisfaction, nouvelle, différente, pour moi plus féconde en tout cas, m'est ​alors​ insensiblement apparue, qui, depuis,​ comme par miracle, se renouvelle​ !
Delteil, André de Richaud, Gevers, Rocquet, Desnoues, Renard, Giono, Mogin, Norge, Jacqueline de Romilly, pour ce qui est uniquement du littéraire à proprement parler, sont quelques-unes de mes relectures favorites, des amis en esprit que je retrouve, à toute heure du jour ou de la nuit, au besoin, pour le plaisir, et quand je veux !
Bachelard, Jung, Souzenelle, en sont d'autres parmi d'autres, sur d'autres registres.
Quant à vous, chers lecteurs et lectrices, sur ce, subito je vous quitte à regret, ayant déjà à cette heure encore matinale toutes sortes de pains sur la planche, car restés en attente depuis hier soir.
À bientôt donc, je l’espère ; la suite, ou tout autre, de même !

André Lombard

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2 commentaires

Quelle belle déclaration !

Chère Florence, tant mieux si ce texte vous a touchée ! J'en suis touché en retour !
J'en profite pour signaler deux fautes repérées par une autre lectrice attentive : de près et non de prés. Et puis aussi prendre soin au lieu de prendre soins. On a beau se relire - justement ! -, rien ne vaut un regard extérieur ! Merci à elle aussi !

André