La Manche au temps des anciens

Vu à l’aune des guerres, des réseaux sociaux, du wokisme et des vols vers Mars, comme il apparaît heureux et sage ce XIXe siècle tel qu’il est présenté dans cet ouvrage sur la Manche d’hier! Belle époque, en prenant le mot dans ses acceptions les plus larges, quand la vie quotidienne dans ce département agricole autant que maritime est rythmée par les foires et les marchés, les militaires défilant jusque dans les plus petites villes, les cavalcades fleuries, les processions du dimanche, les baignades en famille et le passage d’un avion biplan à 300 m d’altitude, un record. Les écoliers semblent attentifs, les discussions au lavoir joyeuses, les moissons et les battages bien organisés.
Les images en témoignent, les gens certes travaillent mais avec le sourire. Rien qu’une arrivée de train est un événement qui aimante une foule admirative. Temps lointains où la vie s’écoule en apparence du moins dans la concorde et le respect, les plaisirs partagés, que ce soit au cirque, au café ou à la plage. Les scieries, les corderies, les tuileries contribuent à la transformation industrielle du pays, de nouveaux ponts facilitent la circulation. La Manche s’ouvre aux progrès, à l’industrie, au tourisme, par Cherbourg et les paquebots elle se relie au reste du monde, avec le Mont Saint Michel elle attire les pèlerins, de ses côtes elle invite à admirer la mer.
Notre regard sur le passé est-il ajusté à la réalité d’alors ou déformé par les comparaisons et une espèce d’idéalisation de ce qui a disparu? Car à l’arsenal de Cherbourg comme dans les fabriques de Pontorson, les horaires sont stricts, les journées longues, le travail pénible, les salaires bas. De même à la campagne, garder, nourrir et soigner les bêtes est une besogne sans fin. Même les petits métiers, à voir les dentelières et les chaudronniers penchés sur les ouvrages, sont exigeants et le soir, chacun rentre épuisé. L’hier de nos ancêtres se magnifie avec le recul, la réalité n’est pas aussi poétique. En vérité, sauf quelques privilégiés dans leurs demeures familiales et dans les villas qui se construisent pour les riches vacanciers, le plus souvent venus de Paris, il faut vivre serré au plus près des besoins quotidiens.
Au fil des huit chapitres, Françoise Surcouf retrace et illustre ces existences à la fois rudes et saines, laborieuses et joyeuses. Pêcheurs, brasseurs, minotiers, lavandières, marchandes, c’est la population qui s’active, se côtoie semble-t-il en bonne entente, se déplace sans hâte. La longue durée dont parlait si bien l’historien Fernand Braudel appartient de droit à ces générations.
Ce livre résulte de recherches iconographiques à l’évidence nombreuses et de travaux d’archives. Françoise Surcouf arpente souvent ces terres, les connaît et les aime. Elle documente chaque étape à travers cette vaste et florissante presqu’île du Cotentin par des faits précis, de vivantes anecdotes, des données transmises sur ces moments normands typiques, des photos de l’époque et des cartes postales anciennes aux charmes intacts, proches des gens, forcément en noir et blanc, instants qui ont franchi bientôt deux siècles et gardent comme une fraîcheur qui se teinte au demeurant de nostalgie.

Dominique Vergnon

Françoise Surcouf, La Manche d’antan, 250x325 mm, 300 illustrations, éditions Hervé Chopin, octobre 2022, 112 p.-, 29,90 €

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