Les émaux d'amour de Piet Lincken et Edith Södergran

Dans ce livre Piet Lincken rappelle qu'il est deux : à savoir poète et traducteur. Et il insère dans ce livre une oscillation entre ses propres poèmes et ceux d'Edith Södergran (1892-1923) poète scandinave majeure.

L'ensemble devient une dérive sur la notion de limite et d'écart en une réflexion à partir des mouvements de l'âme et du corps et un itinéraire aussi géographique que dans la langue,  et autant dans le temps qu'en la pensée.

Toutefois à celui à qui poserait la question : Qu’est-ce que le “sujet” dans l’œuvre  de  Lincken ? Nous répondrons que le sujet est  l’écriture elle-même. Dévorée, dévorante, trouée, déchirée, colorée, construite parfois jusqu’à une ascension lyrique,  elle s'approche de celle  d'Edith Södergan  en déliant les purs effets du réel, de la pensée, de la spiritualité et même de la sensualité.

Cette dernière se décline en multiples couleurs "mélangées de lave, de foins"  jusqu'à laisser une "impression rose-pourpre, comme l'intérieure d'une bouche". À tout instant  l’auteur ramène au langage car ce dernier ramène à l’être en une procédure de contamination et d'ironisation de l'image en tant que figure de style et de représentation. 

 

Mais chez lui  la métaphore ne soigne rien, ne cautérise pas la plaie du réel. Elle la creuse, et rend palpable par le corps la détresse de l’âme. L’inconscient semble toujours frapper à la porte des textes du poète comme de ceux de la Finlandaise. 

Cependant il existe dans l'écriture de Lincken un acte d’autorité très différent de celui de son "modèle". Celle-ci  décide et tranche. Le Belge lui ne coupe pas, il creuse sans doute mais sans se confiner dans ce qu'il ouvre. D’où l’ambiguïté que perpétuent l’écriture et ses "scénographies" là où aucun des deux auteurs n'empiète l'un sur l'autre.

La poésie tient à la fois par la description de lieux ou de la contemplation spéculative, mais permet aussi  d’entrer en ce qui ne se pense pas encore et en conséquence  touche à l’instable et la vérité de l’inconscient. Il s'agit de reconstruire quelque chose du présent  comme du passé.  L'extériorisé, le quotidien ne laissent pas les créateurs en un état de passivité : ils  touchent la réalité à travers la chair en modelant la volupté à cette masse improprement inconcevable de soi mais où le sang garde une valeur autant métaphorique que "réaliste".


Jean-Paul Gavard-Perret

 

Piet Lincken et Edith Södergran, A itinéraire suédois, Atelier de l'Agneau, St-Quentin-de-Caplong, décembre 2020, 104 p., 17 euros

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